Il fut un temps, pas si lointain, où accrocher une tête d’élan – gonflable, de surcroît – au mur de votre salon vous aurait valu l’opprobre. Où arborer des boucles d’oreille en forme de hibou, de renard, où porter un sweat-shirt orné d’une licorne stylisée, digne d’une Golf GTI overtunée, eût été synonyme de suicide […]
Il fut un temps, pas si lointain, où accrocher une tête d’élan – gonflable, de surcroît – au mur de votre salon vous aurait valu l’opprobre. Où arborer des boucles d’oreille en forme de hibou, de renard, où porter un sweat-shirt orné d’une licorne stylisée, digne d’une Golf GTI overtunée, eût été synonyme de suicide fashion. Aujourd’hui, il est de bon ton de distribuer les Apéricube en pull Kenzo décoré d’un tigre. Se balader avec une bestiole pendue au lobe ou au cou, telle une amulette, ne met plus le feu aux poudres. Les trophées de chasse, en papier mâché ou en balsa, font un carton dans les boutiques du Marais. Les lieux branchés, les racks des créateurs, les portants des supermarchés de la mode et, par extension, nos vestiaires sont devenus des bestiaires géants. Les lolcats, ces parangons de régression 2.0 urticants, font des millions de vues sur internet. Même les plus rock’n’roll s’y mettent, Jack White en tête, quand il installe – en 2012 – la promo parisienne de son album Blunderbuss au musée de la Chasse.
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Pour les kidults que nous sommes, l’enfance, c’était avant-hier. Il n’y a plus de mal à se faire du bien en convoquant l’imagerie de notre prime jeunesse – ou une sémiotique digne des pochettes d’albums de Saxon : car l’aigle et le cheval aérographés ont aussi leur mot à dire dans ce grand déballage de souvenirs frelatés, directement inspirés de nos années doudou, eighties “hochet” ou nineties teenage. Dans cet univers urbanisé, bétonné, hyperaseptisé où “l’homme est un loup pour l’homme” (comme dirait Montaigne ou Bernard Lavilliers), porter des broches en forme de cerf ou des imprimés lion, c’est conjurer la jungle urbaine dans laquelle on vit et contrer, par un primaire et salutaire retour aux sources, une époque ultrabalisée dans ses comportements comme ses codes.
Pour Alexandra Jubé, chasseuse de tendances chez NellyRodi, “cette culture du totem correspond aussi à une quête de spiritualité à la carte, alors que les religions ‘toutes faites’ sont boudées et qu’on ne croit plus en grand-chose. On s’invente les icônes qui vont avec, la dérision en plus.” Un paganisme de pacotille qui rassure… Et tant pis si, en filigrane, on passe pour les ravis de la crèche en arborant ces inoffensifs grigris. A une période où les charts sont dominés, dans le son comme l’image, par la génération Goldorak, et où le “monde des Bisounours” est devenu une expression convoquée à tout bout de champ – et surtout d’arguments –, c’est la fête aux valeurs guimauve. Prochaine étape dans le ridicool assumé : le come-back des chaussettes à motif Lagaffe ou Mickey et des dés en peluche accrochés au rétroviseur ?
Claire Stevens
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