L’ancien ministre socialiste de l’Education et de la Culture, évoque la crise à l’université, les 50 ans du Ministère de la Culture et la situation dans les Antilles.
Vous avez été deux fois ministre de l’Education, en 1992 et 2000. Quelle analyse faites-vous de ce qui se passe aujourd’hui dans le milieu de l’éducation ?
Pour l’éducation, c’est une catastrophe absolue. Ce domaine, qui relève en quasi-totalité de l’Etat, agonise de la saignée que le gouvernement lui inflige depuis 7 ans, et pas seulement depuis Sarkozy. Ca va dans le sens d’une régression sociale et culturelle. Comme si une machine infernale avait été mise en place pour détruire, casser et appauvrir. Depuis 2002, plus de 150 000 postes ont été supprimé dans l’Education Nationale. Concrètement, cela correspond à la fragilisation de certaines disciplines comme la philosophie, les langues étrangères, mais aussi certaines filières professionnelles, et la multiplication des classes surchargées, notamment chez les petits. La remise en cause du plan « Les Arts à l’école » que j’avais mis en place avec Catherine Tasca est également gravissime. Et voila maintenant qu’on apprend qu’ils veulent supprimer la formation professionnelle des maîtres. Je n’arrive même pas à y croire.
Selon vous, le mouvement universitaire constitue-t-il une réponse à cette même logique de démantèlement ?
Je pense que le mouvement lancé en 2004 par les Inrocks auquel je m’étais associé, « l’Appel contre la guerre à l’intelligence », est encore d’actualité. La réalité est la même aujourd’hui, de l’école maternelle aux universités en passant par la culture, les centres de recherche, les labos. La politique publique actuelle correspond clairement à une politique d’appauvrissement face à laquelle il est important qu’un vaste front culturel se constitue pour protester et pour proposer.
On fête cette année les 50 ans du ministère de la culture dont vous avez été un acteur majeur dans les années 80. Selon vous est-ce qu’il s’agit encore d’un modèle viable ?
Plus que jamais, l’exigence d’une politique publique de la culture, de l’intelligence, doit être au cœur de notre projet de société. Par rapport à 1959, date de création du Ministère par André Malraux, il faut prendre en compte les formes nouvelles de marchandisation des cerveaux, des savoirs et des comportements qui ont récemment surgit. Considérer aussi que la culture est désormais un levier de développement économique.
L’un des présidents les plus progressistes du monde, Barak Obama, pour la première fois dans l’histoire des Etats-Unis, s’apprête à imaginer une action publique en faveur de l’éducation artistique inspirée par son expérience à Chicago. Il se présente aussi comme un président proche des artistes et des intellectuels. Il reçoit Steve Wonder à la Maison Blanche et Tony Morrisson me disait récemment que c’était la première fois qu’elle s’engageait auprès d’un candidat puis d’un président. C’est tout le paradoxe : au moment où les gouvernements européens paraissent douter de l’exigence culturelle et intellectuelle, le Président des Etats-Unis la consacre et en fait l’un des instruments de transformation morale, esthétique, intellectuelle et économique de son pays.
Qu’avez-vous pensé des annonces récentes de Sarkozy en matière de politique culturelle, et notamment la création de ce conseil pour la création artistique ? Ets-ce qu’il s’agit d’un désaveu du ministère de la culture ?
Comme Sarkozy est un homme qui ne manque pas de lucidité, il a certainement perçu l’intérêt pour la France de retrouver sa place. On sent une sorte de frémissement du côté du gouvernement mais qui ne se traduit que par de faibles initiatives. 100 millions d’euros pour le patrimoine, c’est toujours bon à engranger, ce Conseil pour la création artistique pourquoi pas, je connais beaucoup de ses membres, Marin Karmitz qui en est le co-président, Emmanuel Hoog, Président de l’INA ou Laurent Bayle à la tête de la Villette… Mais ça reste un projet circonscrit et ce n’est pas en agissant par petits bouts qu’on redonnera de l’élan et de la puissance à cette politique des arts et du savoir.
Le 16 février dernier un débat réunissait sous la bannière « quelle politique culturelle ? » des acteurs des divers champs culturels (Pascale Ferran pour le cinéma, Robert Cantarella pour le spectacle vivant et Nicolas Bourriaud pour l’art contemporain). Tous affirmaient la nécessité d’une réponse collective, transversale, transdisciplinaire.
J’approuve totalement cette idée. De l’instituteur au directeur de théâtre, la solidarité peut être grande pour tirer la sonnette d’alarme et alerter l’opinion et le gouvernement. Dans un pays comme la France, on ne peut pas liquider impunément le patrimoine de connaissance, de la création et de l’intelligence.
Pour reprendre une expression qui plait beaucoup au gouvernement, il faut préserver l’identité de la France. Or l’identité française est fondée, on le sait, depuis 50 ans mais bien au-delà depuis la monarchie jusqu’à la République en passant par l’Empire, sur ce système de politiques d’Etat en faveur du savoir et de la culture. C’est une longue histoire. Je me souviens du livre acerbe de Marc Fumaroli paru au début des années 90 et qui dénonçait ce qu’il appelait la politique du « tout culturel » : il parlait « d’Etat culturel français ». Or je crois qu’il faut assumer et même être fier de cette exception française. La preuve, c’est un modèle qui s’exporte, et partout dans le monde, jusqu’au Japon où j’étais récemment, on cite l’exemple français.
Dans leur appel à la solidarité en direction de l’Outre Mer, Edouard Glissant et Patrick Chamoiseau émettaient l’idée qu’on serait en train d’assister à la naissance de la première société post-capitaliste. Pensez-vous qu’on est à un tournant… ?
J’aime beaucoup Chamoiseau et Glissant, en particulier le très beau livre qu’ils ont récemment publié, « l’Intraitable beauté du monde ». Dans ce livre, ils expliquent comment Obama a su avec sa vision rendre l’impensable pensable, l’impossible possible. Et c’est effectivement ce qu’on attend aujourd’hui de nos dirigeantsIls ont raison de croire à ce tournant. Les ingrédients sont là pour inventer un autre système. Si l’on se contente de colmater les brèches, on se retrouvera face au même problème dans 10 jours ou 3 mois. Toute crise doit être utilisée comme un tremplin pour imaginer un autre mode d’organisation. Les crises aussi ont des vertus.