Régis Schleicher a passé vingt-six ans en prison. Ancien membre d’Action directe, il raconte dans un livre comment ses compagnons de détention lui ont donné la force de se retourner sur son passé.
Dès 2005, dans une interview par écrit à Libération alors que vous étiez encore en prison, vous avez quand même été le premier ancien membre d’Action directe à exprimer très clairement des regrets.
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Sans entrer dans le débat de savoir si notre combat était juste ou pas, en étant un minimum honnête et lucide, je suis obligé de reconnaître que des gens ont souffert. Quand le soir vous rentrez à la maison et qu’au lieu d’un mari ou d’un père vous trouvez une chaise vide, c’est une douleur qui s’apprivoise mais ne s’efface pas. Il faut la respecter et se faire petit devant ça, éviter les déclarations indécentes qui remuent le couteau dans la plaie.
Vous faites référence à des propos tenus à l’époque par un autre membre d’Action directe, Jean-Marc Rouillan ?
Peu importe de qui je parle. J’ai commencé à lutter parce que j’étais sensible à l’humain et aux souffrances de l’humanité. Mon adolescence, c’était Pierre Overney, l’Espagne, le Chili, le Vietnam… Malgré ces élans d’humanité, j’avais fini par ne plus voir l’humain, mais seulement la fonction. Quand vous vivez en groupe réduit et sous la pression des événements, vous avez un point de vue sectaire, le combat justifie le combat.
Lors de vos différents procès, vous aviez encore une attitude très radicale. Vous avez même menacé des jurés. Comment s’est produite cette évolution ?
Il y a une quinzaine d’années, j’ai perdu quelqu’un qui m’était infiniment cher. Cette mort m’a amené à réfléchir autrement que de manière théorique à la mort des autres, à la violence dont j’avais été l’auteur ou le coauteur. J’ai compris que la douleur et la souffrance n’appartiennent pas à un seul camp. J’ai un pote qui a été tué sous mes yeux (Ciro Rizzato, lors d’un hold-up à Paris, le 14 octobre 1983 – ndlr). Sa mère et sa compagne aussi ont pleuré.
Ces regrets, vous auriez pu les garder pour vous. En les publiant, avez-vous voulu que vos mots arrivent jusqu’aux familles de vos victimes ?
Oui, mais ça ne veut pas dire que j’ai envie d’entrer en contact avec elles. Moi, même vingt ans après, je ne voudrais pas rencontrer celui par qui la souffrance est arrivée. Une rivière de sang a coulé, et on ne peut pas jeter des ponts comme ça.
Le cinéma a récemment produit sur la bande à Baader ou sur l’extrême gauche italienne des films qui condamnent ces mouvements mais en donnent une vision souvent romantique. Avec Action directe, on est toujours dans le dur…
Le sang est toujours moins rouge ailleurs. Quand vous marchez dedans, c’est plus sordide. Prenez Che Guevara : on l’a érigé en icône révolutionnaire, quitte à oublier qu’en Bolivie son groupe n’était guère plus important que le nôtre et qu’il a été balancé par ceux pour lesquels il était venu lutter.
Politiquement, où vous situez-vous aujourd’hui ?
Pour moi, la politique a toujours été indissociable de l’engagement. Or, je ne suis plus disposé à y consacrer du temps et de l’énergie. J’ai d’autres priorités.
En 2005, vous vous déclariez encore » militant communiste ». Vous le restez aujourd’hui ?
Communiste, oui. Militant, non.
Vos parents étaient engagés politiquement à gauche mais pas à l’extrême gauche. Votre père a même été l’un des fondateurs de la CFDT. Comment ont-ils vécu votre basculement dans la violence ?
Ce fut très douloureux parce que j’ai lutté avec des armes dans une société qui pour eux ne le justifiait pas. L’éducation qu’ils avaient essayé de me donner, c’était le respect de l’homme, y compris de son intégrité physique. Ils se sont demandés ce qu’ils avaient loupé.
Quelle est la réponse ?
Rien. J’ai eu la chance infinie de pouvoir discuter librement avec eux. Mes parents ont non seulement toujours été présents mais – là, ça va sembler « hérétique »- ils ont toujours considéré que j’étais un honnête homme. Ils pensaient que j’étais sincère, épris de convictions, même si j’ai basculé dans des choses qu’ils condamnaient.
Comment cela s’est-il produit ?
A l’époque, une grande partie de la jeunesse adhérait à ces courants politiques. Kouchner, July, Cohn-Bendit pensaient la même chose que moi.
Mais ils n’ont jamais opté pour la lutte armée…
Ils avaient peut-être déjà des plans de carrière. Moi, j’étais plus jeune, peut-être plus sincère aussi, et j’ai rencontré des gens qu’eux n’ont pas rencontrés et inversement.
Avez-vous lu le livre que vient de publier Jean-Marc Rouillan ?
Non, pas encore. Je pense que je ne serai pas d’accord avec ce qu’il dit. Mais j’ai lu pas mal de ses précédents bouquins, il a un vrai talent d’écrivain. Mais attention, mon bouquin ne parle pas d’Action directe. On m’a jugé et condamné pour les faits que j’ai commis au nom d’AD. Aujourd’hui, je pose des actes différents, dont ce livre. Qu’on me juge désormais sur ces actes.
Jean-Philippe Leclaire
Clairvaux, instants damnés (L’Editeur), 304 pages, 19€
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