Régis Schleicher a passé vingt-six ans en prison. Ancien membre d’Action directe, il raconte dans un livre comment ses compagnons de détention lui ont donné la force de se retourner sur son passé.
A cause du magnétophone posé sur la table du restaurant, le serveur se fait curieux. « Monsieur, vous êtes connu, non ? » Réponse amusée de Régis Schleicher : « Si vous trouvez qui je suis, vous êtes vraiment très fort… »
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
La photo la plus récente de l’ancien membre d’Action directe date du 16 mars 1984, au lendemain de son arrestation près d’Avignon. Aujourd’hui âgé de 53 ans, dont vingt-six passés en prison, Régis Schleicher assure la promotion de son dernier livre, Clairvaux, instants damnés mais refuse de se laisser photographier ou filmer.
On lui fait remarquer qu’en passant chez Denisot, Ardisson ou Ruquier, il vendrait quatre fois plus de livres. « Oui, mais j’aurais cent fois plus d’emmerdes ! », répond en souriant celui qui bénéficie depuis le 26 mai dernier d’une liberté conditionnelle.
Dans Clairvaux, instants damnés, Régis Schleicher raconte ses camarades de détention de la centrale de Clairvaux, dans l’Aube – Le Gros, La Goutte, Ratko, les deux Mounir – mais aussi les matons, les frites du mercredi et le dégoût du quotidien.
« Finalement un jour, un mois, une année, un perpète se sont écoulés… Et au bout le vide pour la plupart nous a néantisés ! », écrit celui qui est, lui, sorti debout du néant. Rencontre à Lyon, au restaurant Rouge Tendance (ça ne s’invente pas !), dont le serveur cherche encore qui pouvait bien être ce motard pas très grand mais costaud, tantôt grave, tantôt souriant, dont la tête désormais sans moustache lui semblait pourtant si familière.
Entretien > Quelle est l’histoire de ce livre ?
En 1997, je me rends compte que je suis en train de perdre la langue. Ça fait une quinzaine d’années que je suis « dedans », je tourne avec un vocabulaire de quelques centaines de mots. Fin 1997, je me retrouve à l’isolement, avec encore moins de mots. J’ai du temps à perdre. En dehors d’une promenade de deux heures le midi, je croupis dans une cellule d’une dizaine de mètres carrés.
J’écris les premiers chapitres du livre, puis je suis transféré à Moulins, en détention normale. En février 2003, je fais une tentative de cavale qui échoue. Le PC sur lequel j’écrivais est saisi et tout ce qu’il y a dedans est analysé, versé au dossier et imprimé sur procès-verbal. Je récupère tout ça au moment du procès pour tentative d’évasion alors que je suis à nouveau à l’isolement à Clairvaux, courant 2005. J’ai ensuite sorti deux romans. Clairvaux…, je ne le finirai que durant les neuf mois de ma période de semi-liberté, en 2009 et 2010, à Lyon. Je bossais la journée ; le soir et le weekend je rentrais au placard et j’écrivais.
Quand on referme votre livre, on se pose forcément la question : à quoi sert la prison ?
Un jour, un psychiatre m’a demandé : « Qu’est-ce que vous avez appris en prison ? » Je lui ai retourné la question : « Vous pensez sincèrement qu’en laissant croupir quelqu’un pendant vingt ans dans une cellule de dix mètres carrés il va apprendre quelque chose ? »
L’administration pénitentiaire pourrait se servir de vous comme d’un exemple : l’ancien terroriste qui s’est cultivé grâce à la prison et publie désormais des livres…
Je ne veux surtout pas devenir un exemple ! Tout ce que j’ai appris en prison, je ne l’ai pas appris grâce à la prison. J’avais seulement la chance d’être curieux et je savais quelles ficelles tirer. J’ai appris des langues étrangères parce que j’ai fait la démarche de contacter le Centre national d’enseignement à distance ou la faculté. Il a fallu interpeller l’administration pénitentiaire pour obtenir des subventions qui permettent de payer les frais d’inscription, très coûteux pour un prisonnier.
Si je suis sorti de prison debout et pas rempli de haine et d’amertume… (il s’interrompt) Un homme se définit par les endroits où il passe et les relations sociales qu’il établit. Aujourd’hui, je suis le produit de tous les gens dont je parle dans mon livre, ceux que j’ai aimés et ceux que je n’ai pas aimés.
A tous, même aux pires des violeurs ou des meurtriers, vous dites vouloir redonner » une part d’humanité »…
Je suis entré en prison avec une vision du monde assez manichéenne : les bons et les mauvais, les rouges et les noirs. La prison m’a offert le « luxe » de côtoyer des gens venus d’univers très différents. J’ai rencontré des fachos et des pervers capables d’élans du coeur insoupçonnés, d’une vraie générosité. J’ai aussi rencontré des gens de mon monde, des militants soi-disant altruistes qui ne respectaient pas leurs valeurs. J’ai vite compris que le monde n’était pas si binaire.
L’interview que vous avez récemment accordée au Progrès est titrée : « Je ne veux plus changer le monde ». Est-ce un aveu d’impuissance, ou le monde n’est-il pas si mal que ça ?
Ce titre, c’est une bonne accroche, mais tendancieuse car incomplète. Le journaliste m’a demandé où j’en étais politiquement et je lui ai répondu : « Je suis encore privé de mes droits civiques, je suis revenu à des ambitions plus modestes, je ne veux plus changer le monde. » Je voulais dire que le monde n’avait pas besoin de moi pour changer. Que ça me plaise ou pas, je n’ai pas d’interaction là-dessus. Mais je ne me considère pas non plus comme un « repenti d’Action directe », comme j’ai pu le lire sur un site internet….
{"type":"Banniere-Basse"}