L’ONG Sea Shepherd milite pour la défense des océans et s’oppose à la chasse traditionnelle des dauphins sur les îles Féroé, qui a fait 250 victimes ce 23 juillet. Nous avons interrogé la présidente de la branche française de l’organisation. Entretien.
Ce 23 juillet des militants de Sea Shepherd, une ONG de défense des océans, se sont opposés physiquement à un « grind », massacre traditionnel de dauphins sur les îles Féroé. 250 globicéphales (ou baleines-pilotes) ont été abattus, et plusieurs militants ont été arrêtés par les autorités féringiennes. Que risquent-ils ? Pourquoi cette pratique est-elle autorisée sur les îles Féroé, qui dépendent du Danemark et donc de l’Union européenne ? Nous avons interrogé Lamya Essemlali, présidente de Sea Shepherd France, qui a participé trois années consécutives à l’opération sur les îles Féroé.
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Plusieurs militants de Sea Shepherd ont été interpellés ce 23 juillet pour s’être opposés au massacre de 250 globicépahles sur les îles Féroé lors d’une chasse traditionnelle. Que risquent-ils ?
Lamya Essemlali – En tout ils sont sept à avoir été interpellés. Ils sont accusés d’avoir enfreint une « opération de pêche légale », c’est-à-dire le grind [littéralement, ‘mise à mort des baleines’, ndlr]. Ils risquent en théorie 3000 euros d’amende et deux ans d’emprisonnement.
Savez-vous s’ils ont été libérés ?
Oui. Ils ont été libérés mais ils sont en attente de leur peine. A ma connaissance ils n’ont pas encore récupéré leur passeport. Pour l’instant ils restent donc sur les îles Féroé. On espère qu’ils vont être autorisés à partir avant qu’une décision soit prise, pour qu’ils ne soient pas coincés là-bas. L’année dernière, neuf Français avaient été arrêtés dans le même cadre, sous le même chef d’inculpation, et ils avaient été autorisés à partir et à revenir pour leur jugement.
Avaient-ils été condamnés ?
La loi était moins sévère l’année dernière. Ils l’ont changée cette année en réaction à notre mission de l’année dernière. Ils avaient écopé simplement d’une interdiction de territoire.
Comment la loi a-t-elle évolué depuis l’année dernière ?
Désormais il est complètement interdit de naviguer à moins d’un mille nautique d’une tentative de grind. La peine de prison est passée de quatre mois à deux ans, et l’amende est passée à 3000 euros.
La loi prévoyait également de poursuivre les touristes en justice s’ils n’informaient pas les autorités locales après avoir vu des baleines et des dauphins en cours de migration…
Effectivement c’était le projet initial de la loi. Mais face au tollé que cela a suscité, le Premier ministre féringien a fait marche arrière, en disant que les touristes ne seraient pas accusés s’ils ne dénonçaient pas la présence de dauphins. Cependant le grind qui a eu lieu ce 23 juillet est dû à la dénonciation des dauphins par des touristes, qui ont prévenu les autorités féringiennes.
En quoi consiste cette chasse traditionnelle aux îles Féroé ?
C’est souvent un ferry ou un bateau de pêche qui contacte les autorités quand il voit des dauphins en migration dans l’archipel. Le grindmaster, qui est le chef de la baie de chasse la plus proche, est prévenu. Cette personne décide ou pas de déclencher un grind. Si c’est le cas, les bateaux sortent en mer pour rejoindre le groupe de dauphins, ils font des bruits dans l’eau pour les orienter vers la baie de chasse. Sur la plage une équipe terrestre de personnes armées de crochets et de couteaux les attendent. Quand les bateaux les ont rabattus dans des eaux suffisamment peu profondes, les dauphins s’échouent, et les gens à pieds enfoncent les crochets dans les évents des dauphins [les narines, ndlr], les tirent sur la plage et leur sectionnent la moelle épinière. Il n’y a jamais aucun rescapé. Aucune distinction n’est faite. La totalité du groupe est massacrée.
Que font-ils des dauphins morts ?
Ils en consomment une petite partie, bien moindre par rapport à ce qu’ils tuent, car le corps médical féringien lui-même a déclaré que la viande de dauphin était impropre à la consommation. Les taux de mercure et de métaux lourds dans la chair de dauphins sont 10 fois supérieurs à la législation en vigueur en Europe. Ils ont eu énormément de problèmes de retard mental chez les enfants, et de maladies de Parkinson chez les adolescents dont les mères ont mangé de la viande de globicéphale. Ils ont donc énormément réduit la consommation, mais les grind continuent. C’est le plus grand massacre de mammifères marins en Europe aujourd’hui.
On parle souvent des pratiques illégales de pêche au Japon ou en Asie. Comment se fait-il que le ‘grind’ soit autorisé en Europe ?
Cette pratique n’est en fait pas autorisée en Europe. Les dauphins – et notamment les espèces migratrices comme le globicéphale – sont protégés par diverses conventions : celle de Bern et celle de Bohn. Le Danemark, auquel les îles Féroé sont rattachées, est signataire de ces conventions et s’est engagé à œuvrer à la préservation des mammifères marins. Pourtant il fait une sorte d’exception culturelle pour les îles Féroé. Ces dauphins sont strictement protégés et interdits à la chasse partout en Europe, sauf quand ils sont dans les eaux féringiennes, où il n’y a pas de limites de quotas. Ils en tuent entre 800 et 1500 par an.
En dehors des actions directes, avez-vous des moyens de pression sur le Danemark ou l’Union européenne pour modifier la loi ?
Nous allons demander à la France de déposer plainte auprès de la cour de justice internationale de la Haye contre le Danemark pour violation des lois européennes, un peu comme ce qu’a fait l’Australie contre le Japon l’année dernière pour la chasse baleinière. Le Danemark est cependant très réticent à faire interdire le grind parce qu’il y a un fort mouvement indépendantiste sur les îles Féroé. A peu près la moitié de la population veut se séparer du Danemark. S’il se positionnait contre ces massacres, cela ferait très certainement gagner le camp indépendantiste. Or il y a des ressources de pêche et de pétrole sur les îles Féroé que le Danemark n’a pas envie de perdre. A côté de ces considérations économiques, le sort des dauphins leur importe peu.
Y-a-t-il une alternative à l’action directe pour défendre les océans ?
Nous sommes la seule organisation à être présente sur le terrain sur les îles Féroé. L’année dernière nous avons patrouillé pour faire sortir les dauphins de la zone avant que les Féringiens les rabattent, tous les jours pendant trois mois et demi. Au final ils n’ont réussi à en tuer que 33. Sur la même période l’année d’avant, où nous n’étions pas là, ils en avaient tué plus de 1300.
C’est une action d’urgence pour sauver les dauphins, mais nous effectuons aussi un long travail de sensibilisation, y compris au niveau de la population féringienne. Certains sont opposés au grind mais ne le disent pas car c’est considéré comme « anti-patriotique ». Le changement viendra aussi d’eux. Mais Einstein disait qu’il est plus facile de scinder un atome en deux que de faire évoluer les mentalités. Malheureusement le temps presse.
Quelles sont les actions menées actuellement par Sea Shepherd France ?
On est actuellement en mission en Méditerranée avec les bateaux qui étaient aux îles Féroé l’année dernière, pour une campagne de récupération de filets fantômes, c’est-à-dire les filets perdus ou abandonnés en mer qui continuent de pêcher pendant des décennies pour personne. Rien qu’au large de Marseille, on a sorti plus d’un kilomètre de filets.
On a aussi plongé dans le vieux port de Marseille pour montrer à quoi ça ressemblait. On va diffuser les images. C’est l’apocalypse : il y a des batteries, des vélos, des filets, mais très peu de vie. On sensibilise sur la pollution en Méditerranée.
Qu’attendez-vous de la COP 21, la conférence sur le climat qui se tiendra à la fin de l’année ?
Elle peut nous aider à faire passer des messages. Le principal outil de régulation climatique, c’est l’océan. C’est la machinerie océanique qui régule le climat, avant même les forêts, et qui fournit 80% de l’oxygène qu’on respire. Or l’océan est le grand oublié de cette conférence. On a prévu de faire des conférences avec Pierre Rabhi, des indiens d’Amazonie, etc. On va profiter de cette actu pour faire passer le message.
Comment l’océan produit-il 80% de notre oxygène ?
C’est le phytoplancton qui produit tout cet oxygène, et qui absorbe le dioxyde de carbone. Or il dépend de la biodiversité marine. Pour sauver le climat, il faut donc sauver les baleines, qui ont un rôle fonctionnel vital dans l’équilibre océanique. On comprend mal la façon dont l’océan fonctionne. Pourtant, sans lui, la vie sur la planète tout entière sera détruite. La surface chalutée chaque année dans l’océan (qui est l’équivalent d’une coupe à blanc au bulldozer en foret) est 150 fois supérieure à la surface de déforestation.
Propos recueillis par Mathieu Dejean
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