Nikola Obermann, auteur et scénariste allemande, a découvert les effets ravageurs d’une bise et d’une bouteille de champagne en arrivant en France.
Je me suis installée en France en septembre 1989, j’avais 23 ans. J’ai vu la chute du Mur à la télévision depuis Argenteuil, dans l’appartement des parents de Pascal, mon premier Français. Trois ans plus tôt, j’avais passé une année à Marseille comme jeune fille au pair.
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Un vrai choc culturel : j’avais 20 ans, j’étais blonde platine, je passais ma vie en minijupe sur mon vélo. Forcément, je me faisais siffler du soir au matin (rires). Même en allant chercher mon pain en vieux jogging, d’ailleurs. J’étais aux anges parce que l’Allemagne ne m’avait pas du tout habituée à ça… Quand je suis rentrée à Francfort, avec la même dégaine et la même joie de vivre, plus personne ne se retournait sur moi. Mon pays natal me trouvait moche et non désirable. Sauf Pascal, un Français rencontré à Francfort qui m’a fait découvrir Paris. Notre relation a duré trois ans. Aujourd’hui, il vit en Allemagne et moi, je suis toujours en France.
Je ne déteste ni l’Allemagne, ni les Allemands
Je n’ai pas l’intention de retourner en Allemagne. Comprenez-moi bien, je ne déteste ni l’Allemagne, ni les Allemands : on pourrait dire que je les aime comme on aime son mari, mais que j’ai choisi de m’installer avec mon amant. On dit que la France est le pays de l’amour. Moi je trouve que c’est le pays du plaisir. Ou disons, plutôt, que la recherche du plaisir me semble bien placée dans le top ten des priorités du Français.
Le mot « plaisir », dans son acception française, n’a pas d’équivalent en allemand. Sa traduction, » Vergnügen », désigne l’amusement, la distraction. Mais le plaisir, lui, enferme quelque chose de sensuel, de charnel. On y trouve l’idée d’appétit, d’abondance et de générosité. En tant qu’Allemande, j’approuve personnellement la vaste équation selon laquelle la France = la bouffe = le sexe. C’est si vrai qu’ici, une femme qui mange peu, et pire, ne boit pas, se retrouve très vite soupçonnée de frigidité.
Les Français ont moins peur de se prendre un râteau
Qui dit plaisir, dit jeu. Les Français jouent beaucoup. Contrairement aux Allemands, qui craignent le ridicule, les Français savent se prendre un râteau, ils sont même conscients que c’est un peu leur lot. A partir de là, tout est permis. Il existe ici tout un cirque joyeux, ludique et futile que les Allemands ne se donnent pas la peine de pratiquer. Les Français s’amusent à être galants, à vous appeler mademoiselle alors que vous n’en êtes plus une, vous abordent dans la rue pour vous inviter à prendre un verre. Ils savent aussi se montrer élégants.
Il y a quelques années, j’ai passé plusieurs heures à lire dans le restaurant du train Paris/Francfort. En revenant des toilettes, j’ai trouvé une petite lettre posée sur mon livre. Quelqu’un me remerciait de lui avoir rendu le voyage agréable. Il était déjà descendu du train et je n’ai jamais su qui c’était. Un acte gratuit, poétique et très français.
On est tellement habitué à ce petit jeu de rien du tout que j’ai eu du mal, un jour, à faire passer un vrai message d’amour. Au moment où je pensais conclure avec le futur père de ma fille, j’avais sorti tout mon attirail de guerre. J’avais – ô comble de l’audace – enfilé une jupe et allumé des bougies dans tout mon appartement. J’étais persuadée que ma mise en scène frisait le lubrique. Après le dîner, il est reparti, me laissant dans l’incompréhension la plus totale. Car pour lui, Français, le fait de mettre une jupe n’était en rien un signe d’ouverture.
C’était, disons, esthétique, pas explicite. Par la suite, l’expression « mettre une jupe » devint entre nous synonyme d' »être clair » ou « pas clair », selon les circonstances. Mais je suis aussi tombée sur des hommes très clairs, très insistants même, qui concevaient difficilement les rapports hommes/femmes hors d’une conclusion sexuelle.
La bise, le point de non-retour
Un jour, j’ai innocemment invité un type à dîner chez moi. Pas de jupe, pas de bougies cette fois, juste une quiche lorraine. Eh bien malgré ce service minimum il s’attendait à une nuit d’amour torride et s’est montré très déçu quand je me suis contentée de lui faire la bise. J’ai alors découvert qu’en France, quand on ne veut pas coucher avec, il vaut mieux ne pas inviter un homme seul.
Ah, la fameuse bise ! Un outil français magique ! Si elle peut signifier un « non » sec et muet, elle représente aussi le point de non-retour. Quand, au moment du départ, une simple bise glisse en baiser langoureux, on a vite fait de se retrouver à poil dans l’entrée. Cela se produit encore plus facilement si l’homme est arrivé chez vous avec une bouteille de champagne à la main. J’ai rapidement compris ce qu’annonçait la bouteille de champagne.
Autre point fort des Français : ils ne tergiversent pas. Ils nomment un chat un chat et une chatte « une chatte ». Pour désigner le sexe féminin, les Allemands disposent d’un grand vocabulaire : « Möse », « Scheide », « Muschi », etc. Mais ce n’est jamais naturel : soit trop clinique, soit trop vulgaire, soit trop gnangnan. Rien ne vaut le mot « chatte » (rires). Donc les Français ont, au lit, une désinhibition verbale que j’ai toujours adorée. Mais il faudrait que l’on m’explique une chose : pourquoi, après avoir passé une heure à susurrer des saloperies, sont-ils capables de longer le mur comme des crabes pour aller aux toilettes ? Les Allemands que j’ai connus faisaient beaucoup moins de chichis.
Galanterie et orgueil font souvent mauvais ménage
J’ai fréquenté des Français orgueilleux et virils. Pour être tout à fait honnête, j’ai peut-être un peu cherché le macho. Je n’ai pas été mécontente quand un homme m’a montré qu’il était prêt à me protéger physiquement s’il le fallait. Même s’il mentait un peu sur sa taille : je mesure 1,75 m et, pour un macho, 1,80 m sonne toujours mieux qu’1,78 m. Il va sans dire que j’ai quand même eu un peu de mal à accepter que le macho s’intéresse peu aux tâches ménagères. Certes, l’Allemand et le Français font la vaisselle, mais peut-être pas pour les mêmes raisons : l’Allemand parce qu’il le doit, le Français pour vous faire plaisir. Oui, bon, le Français la fera peut-être un peu moins souvent ; mais quand il la fait, qu’est-ce que c’est sexy !
Parfois, orgueil et galanterie font mauvais ménage. En Allemagne, au restaurant, il n’est pas inhabituel qu’un couple paie séparément. L’homme français trouve ça impensable, bien sûr. Que fait alors l’homme français fauché ? Il laisse payer la femme ? Eh bien non : il se débrouille pour qu’on n’aille jamais au restaurant ! Bravo !
Il faut dire que j’ai eu la chance de pénétrer d’emblée des milieux parisiens un peu fantasques où il était plus important d’avoir de l’esprit que de l’argent. Alors des beaux bruns, des artistes maudits, des RMIstes inspirés, des séducteurs torturés, j’en ai eu. Le french lover, l’aventurier, je connais. Mais figurez-vous que je suis dans une nouvelle phase. Peut-être parce que j’ai 44 ans, que je suis une mère célibataire et que j’aimerais bien qu’on m’offre enfin une bague (rires). J’aspire à un cadre plus enveloppant qu’avant, j’ai envie de sérénité. Ça tombe bien, j’ai rencontré quelqu’un qui agit sur moi comme un bain chaud. Il fait 1,92 m, il est châtain clair, il a les yeux bleus… Tiens, mais j’y pense : il ressemble à un Allemand.
Nikola Obermann
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