Parler d’intégration pour mieux désintégrer, donner des leçons de laïcité quand on en viole les fondements : l’UMP a fait le choix, pour tenter de gagner des voix FN, de se couper de millions de citoyens. Des Français de culture arabo-musulmane témoignent. Article publié dans le cadre du débat sur la laïcité lancé par France Culture et les Inrocks, à lire dans les Inrocks en kiosque le 30 mars et à écouter sur France Culture le jeudi du 31 mars.
C’est l’histoire d’un dialogue de sourds, où la parole de chacun ne fait qu’ajouter à la cacophonie. C’est aussi l’histoire d’une série de confusions et de positions aussi indignes que décomplexées. Un “débat”. Mais quel est l’objet de la discussion ? “Débattre”, dit Le Petit Robert, c’est “examiner quelque chose contradictoirement avec un ou plusieurs interlocuteurs”. Sachant que le Conseil français du culte musulman, mis en place en 2003 par Sarkozy, a décidé de boycotter la convention du 5 avril sur la laïcité, quelles sont alors les voix contradictoires en présence ?
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“Derrière ce mot, il y a en réalité une décision de parler fort, mais entre soi. C’est une fausse libération de la parole”, précise la philosophe Seloua Luste Boulbina.
L’islam menacerait-il la laïcité ? Mais qu’est-ce que la laïcité ? C’est la séparation de l’Eglise et de l’Etat, mais aussi la neutralité de l’Etat vis-à-vis des religions. Dans ce cas, qui enfreint le plus la loi de 1905 ? Selon un communiqué du ministère de l’Intérieur du 16 mars 2011, “ce débat doit répondre aux attentes des Français dans un souci de cohésion nationale”. Mais qui sont les “Français” du communiqué ? Les électeurs du FN à conquérir avant 2012 ?
Ce calcul mal dissimulé stigmatise et blesse. Ses initiateurs disent vouloir clarifier, pacifier, intégrer. Exacerbation des tensions et désintégration sociale en sont plutôt les conséquences. Parmi ceux qui sont sacrifiés sur l’autel des ambitions électorales de l’UMP, il y a les Français musulmans et/ou d’origine maghrébine, qui n’en finissent pas d’être renvoyés, par la classe politique, l’opinion et les médias à la mise en question permanente de leur identité.
Le fait même d’être sollicité pour réagir à ce “débat” est encore plus choquant pour certains.
“Vous faites un dossier du type ‘Ces Arabes qui ont réussi’ ? Si oui, c’est non”, réagit Fatima Aït Bounoua, professeure de lettres et écrivaine.
Suspicion, inquiétude et, surtout, lassitude. Très remontée, une comédienne refuse de répondre : “Cette enquête est un non-sens. Je ne pense rien de la laïcité, il n’y a rien à dire.”
« C’est trop tard, maintenant »
Commenter la stigmatisation serait devenu stigmatisant. Ce sentiment d’être piégé, Mehdi Meklat et Badroudine Abdallah l’ont éprouvé. Sous le nom des Kids, ces deux journalistes de 18 ans travaillent au Bondy Blog et pour France Inter. Non sans humour, Mehdi Meklat regrette :
“C’est trop tard, maintenant, on ne peut plus faire marche arrière. La communauté arabo-musulmane de France – comme celle des habitants de Neuilly, d’ailleurs – est stigmatisée. C’est entré dans la tête des gens comme un jingle publicitaire obsédant.”
Ils poursuivent : “Nous avons fait un reportage dans notre ancien lycée, à Saint-Ouen. Une fille de terminale a été menacée de renvoi si elle continuait de porter sa longue robe noire, suspectée d’être un signe religieux. Avant d’y aller, nous nous sommes demandés s’il fallait en parler. Si on relaie ce genre d’histoires, on continue de faire exister ce thème comme un problème. Et si on ne le traite pas, on laisse à d’autres gens, moins bien intentionnés, le soin de le faire.”
La vacuité du débat saute aux yeux. Fatima Aït Bounoua détecte une triple arnaque :
“C’est une mascarade, c’est-à-dire un jeu de masques ! Ce ‘débat sur la laïcité’ est le nouveau nom du débat sur l’islam. Quand ils disent ‘laïc’, il faut donc comprendre ‘non-musulman’. Premier masque. Ensuite, on ethnicise la question pour éviter de parler de la réalité, qui est sociale. Second masque. Enfin, c’est aussi le masque de la séduction, celui que l’on met pour glaner quelques voix. Résultat, on crée ce que l’on craint.”
Et l’on ne règle pas les problèmes existants, renchérit Hamadi Dridi, 59 ans, ingénieur : “C’est l’expression d’une France petite, politicarde, court-termiste. Est-ce qu’à l’issue les gens qu’ils pointent du doigt auront un job ? Est-ce que la France aura avancé en matière de recherche, de compétitivité, de santé ? Non. Alors, que va-t-il se passer ? Ils vont les jeter à la mer ?”
[attachment id=298]Si chacun est lucide sur les visées réelles du débat, cela n’empêche pas la déception. Idir Abrous a 38 ans, il est surveillant pénitentiaire dans la prison pour mineurs de Porcheville. Il se souvient encore de 2003, année où il avait reçu le certificat de nationalité française “signé” de Chirac :
“J’avais été touché que le plus grand nombre souhaite la bienvenue à l’individu. Touché d’appartenir au pays des Lumières, celui que mon grand-père avait défendu pendant la guerre.”
Comme pour Hamadi Dridi, ce débat fait s’écrouler avec lui l’image d’une France universaliste. Ce repli sur elle-même est vécu comme une régression.
Aveuglés par la laïcité française
A cette France fantasmée pour les uns et décevante pour les autres, tous associent la laïcité comme une évidence et la vivent de façon très personnelle. Dans les années 90, Idir Abrous et Kamel, 43 ans, chef du bistrot parisien Le Toucan, persécutés par les intégristes algériens, ont fui leur Kabylie natale. Pour eux, la laïcité représente la raison même de leur installation en France.
Mais attention, rappellent les Kids, cette laïcité française, à force d’être ressassée, peut faire écran. Ils racontent qu’il y a un an, ils étaient partis à New York pour suivre des rappeurs de la Courneuve dans un établissement scolaire du Bronx. Dans une classe où les garçons portaient leur casquette et les filles leur voile. Pour tous, ce fut un choc visuel. Leur première réaction a été : “T’as vu, t’as vu, elles portent leur voile en classe !”
La réalité ne leur est parvenue que dans un deuxième temps : l’ambiance était harmonieuse et tous ces couvre-chefs ne gênaient ni l’entente entre les élèves, ni la sensibilité des profs. Mehdi analyse :
“Cela ne veut pas dire que je milite pour que les filles portent le voile, cela signifie simplement que notre vision franco-française nous a aveuglés, empêchés de regarder où il fallait. Et par là-même, de nous contenter d’observer le bon.”
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