Quel est le point commun entre Fabien Chalandon, fils d’un ancien Garde des sceaux, Olivier Sigoignet, gérant d’une PME nantaise, David Sénat, ancien conseiller justice de MAM désormais tricard, et Rachida Dati? Ils sont tous mis en cause dans l’affaire Visionex, un banal dossier de soupçons de paris clandestins remonté au sommet de l’Etat.
Un bel assortiment de personnalités, jusqu’aux ministères de la Justice et de l’Intérieur, est réuni dans une affaire instruite à Paris a priori banale: des accusations de paris clandestins.
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Dans l’affaire Visionex, sont mis en examen Olivier Sigoignet, gérant de la société du même nom qui installait des bornes Internet dans les cafés, David Sénat (ex-conseiller au ministère de la Justice) et Fabien Chalandon, fils de l’ancien ministre de la Justice Albin Chalandon. Une pelote à démêler, où apparaissent le nom de Michèle Alliot-Marie et la main de Rachida Dati.
Jeu sans obligation d’achat ou système de paris clandestins?
“Je suis né dans un flipper”, plaisante Olivier Sigoignet, gérant de Visionex. Aujourd’hui, il vit dans un mixer : mis en examen à Créteil et à Paris pour “infraction à la législation sur les jeux”, il a dû retirer 700 machines du marché et liquider sa société. Pour la première fois depuis qu’il a repris l’affaire de son père, en 1983, et commencé à bosser dans les billards et baby foot, son chemin croise celui de la justice.
A la création de la société Visionex, en avril 2007, Sigoignet s’adjoint pourtant les services d’un avocat spécialiste du sujet, pour écarter tout risque. Pour un euro inséré dans une borne, le client de café peut naviguer sur Internet et participer à un jeu gratuit, qui offre des gains maximum de 100 euros. Toute la subtilité juridique consiste à savoir si la borne Visionex peut être considérée comme une machine à sous violant les lois sur les jeux de hasard.
Aucune autorisation n’est nécessaire pour implanter les machines, mais Sigoignet prend contact avec une flopée d’administrations pour obtenir des avis juridiques sur son projet: la Direction Générale de la Concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), les sous-directions “Courses et Jeux” et “Libertés Publiques” du ministère de l’Intérieur, l’administration centrale des douanes. Personne ne voit rien à redire, mais les services se renvoient la balle. Rassuré, Sigoignet met en place ses machines.
Interventions politiques
Pourtant, le 6 février 2008, une information judiciaire est ouverte à Créteil. Olivier Sigoignet est mis en examen pour “présomption grave de fabrication, installation, exploitation de jeux de hasard”. Ironie du sort, en 2006, un rapport du Sénat sur « l’évolution des jeux de hasard et d’argent » jugeait l’initiative Visionex “intéressante à plusieurs égards, à commencer par cette promotion d’internet qui, par le biais des divertissements et des jeux, faciliterait la vulgarisation de cet outil essentiel”.
En janvier, le tribunal correctionnel de Créteil tranchera sur la légalité des bornes. Olivier Sigoignet risque jusqu’à 3 ans de prison et 45000 euros d’amende. A l’audience du 29 octobre, l’avocat de Visionex soutient que le dispositif vise en premier lieu à se connecter à Internet, le jeu n’étant qu’accessoire.
Il s’appuie notamment sur un jugement du tribunal de Carcassone : en avril dernier, il a relaxé trois cafetiers poursuivis pour détention de bornes Visionex, estimant que “la fonction première de cette machine est bien de permettre d’abord un accès facilité au réseau internet”.
Le tribunal salue d’ailleurs “la transparence totale de la démarche entreprise par le concepteur de ce dispositif, Monsieur Sigoignet, qui préalablement à toute exploitation, a recherché l’avis de toutes les administrations intervenant dans ce domaine, ce qui est pour le moins inhabituel dans les dossiers d’exploitation occulte de machines à sous”. Le parquet a fait appel.
Une lettre plane sur l’audience de Créteil. Le 21 juillet 2008, la ministre de l’Intérieur de l’époque écrit à son homologue de la Justice, Rachida Dati, déjà sensibilisée à l’affaire par son mentor Albin Chalandon, pour souligner la “bonne foi” d’Olivier Sigoignet et “l’absence d’intention coupable”. Signée par Michèle Alliot-Marie, la lettre a été rédigée par son conseiller David Sénat, selon deux sources concordantes.
Rachida Dati, comme l’a montré Le Canard Enchaîné, demande alors par écrit, fait rarissime, la clôture de l’instruction en cours. Une mention manuscrite : « Merci. Clôturer les investigations dans le cadre de la commission rogatoire, car la bonne foi a été prouvée. » La ministre de la Justice, qui nie cette intervention, n’est pas censée intervenir dans les enquêtes en cours.
Chalandon père et fils
Pourquoi tant d’agitation au sommet de l’Etat ? Juste après sa mise en examen, Olivier Sigoignet a reçu le soutien de Fabien Chalandon, 57 ans, fils de l’ancien Garde des sceaux Albin Chalandon. Aujourd’hui âgé de 90 ans, ce dernier est considéré comme le mentor politique de Rachida Dati, qui lui voue une gratitude éternelle…
Touché par les difficultés du petit entrepreneur qui vient d’être mis en examen, Albin Chalandon en fait sa cause et envoie son fils régler le problème. Homme providentiel pour Sigoignet, sensible au prestige de la famille, Fabien Chalandon use de son réseau pour convaincre de la légalité du système.
Il prend position publiquement pour Visionex, dénonçant dans une interview au Parisien la “manipulation” des services de l’Etat et la proximité supposée entre les renseignements généraux, la Française des Jeux et le PMU qui visent à asseoir leur monopole. “De là à parler d’un complot, il n’y a qu’un petit pas que beaucoup, dont moi, n’hésitent pas à franchir. C’est une affaire d’Etat” affirme alors Fabien Chalandon.
L’homme sollicite à de nombreuses reprises le ministère de l’Intérieur, en la personne de David Sénat. Excédé, Sénat finit par refuser de prendre ses appels insistants.
David Sénat, bouc émissaire?
Une seconde “affaire Visionex” s’ouvre à Paris en 2010, conduite par la juge d’instruction Nadine Barthélémy-Dupuis. Le 21 mai, après une garde à vue à la Brigade de répression du banditisme, Olivier Sigoignet est à nouveau mis en examen pour “infraction à la législation sur les jeux de hasard” et fait deux mois de détention provisoire.
Le 1er juillet, c’est Fabien Chalandon qui tombe : on lui reproche ses interventions auprès des cabinets ministériels afin de favoriser l’implantation de Visionex. Un emploi de “consultant” pour lequel la société le rémunère 10000 euros par mois depuis janvier 2009.
Des installateurs de machine sont également mis en examen. Et le 30 septembre, David Sénat subit le même sort après 48 heures de garde à vue. Juste après son limogeage du ministère de la Justice pour des fuites supposées dans l’affaire Bettencourt. On apprend d’ailleurs ce vendredi que l’ex-conseiller assigne Brice Hortefeux pour atteinte à la présomption d’innocence.
Etrange responsabilité qui repose sur les épaules de Sénat, alors qu’aucun courrier signé de sa main n’a autorisé la mise en place des bornes.
On trouve par contre sans peine une lettre de Michel Delpuech, datée du 11 juillet 2008, dans laquelle le directeur de cabinet de MAM rend un avis juridique sur le projet. “Ce jeu ne paraît pas constituer une loterie prohibée au sens de la loi du 21 mai 1836 et les bornes interactives ne paraissent pas non plus assimilables à des machines à sous au sens de la loi du 12 juillet 1983 qui les interdit.” Plutôt affirmatif.
En mai 2008 au ministère, Michel Delpuech a rencontré Olivier Sigoignet, en présence de son avocat et de David Sénat. Contrairement à David Sénat, Michel Delpuech a été auditionné librement par les enquêteurs, et ne sera pas poursuivi. L’ancien préfet des Hauts-de-Seine, après son séjour au ministère de l’Intérieur, a été nommé préfet de la Somme.
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