Assa Traoré l’affirme : “La force du dossier Adama, c’est notre avocat.” Rencontre avec maître Yassine Bouzrou, un homme décidé à dissiper les zones d’ombre.
“Mon objectif numéro 1 est de démontrer et de savoir avec précision qui a provoqué la mort d’Adama Traoré.” L’avocat de la famille Traoré est fidèle à sa réputation : frontal. “La force du dossier Adama, c’est notre avocat”, argue Assa Traoré.
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Quand il est engagé à l’été 2016, Yassine Bouzrou obtient le dépaysement du dossier de Pontoise vers Paris. Il conteste les premières conclusions sur le décès – une “cardiomyopathie hypertrophique” aurait été “potentiellement la cause directe de [sa] mort”.
Les autorités se sont appuyées sur ce rapport en juillet 2016 pour écarter la responsabilité des trois gendarmes. Et ce, alors même que depuis le début la famille estime que ceux-ci auraient, par leur controversée technique de plaquage ventral, causé le syndrome asphyxique fatal.
L’un d’eux dira en effet qu’ils avaient “employé la force strictement nécessaire pour le maîtriser” mais que le jeune homme avait pris “le poids de [leurs] corps à tous les trois”. Adama avait alors indiqué avoir “du mal à respirer”.
Comme l’a révélé Le Monde, un rapport d’expertise de synthèse rendu en septembre 2018 par quatre médecins désignés par les juges d’instruction a invalidé toute présence de pathologie cardiaque. De quoi pousser maître Bouzrou à déposer une plainte déontologique en novembre dernier devant le conseil départemental de l’ordre des médecins des Hauts-de-Seine contre la praticienne, désignée à l’époque par le procureur de Pontoise, qui avait rendu cet avis.
Expertise de synthèse et contre-expertise
Selon nos informations, “le conseil n’ayant pas constaté de faute déontologique”, celui-ci “a décidé de rejeter cette plainte et de classer l’affaire”. Maître Bouzrou dit “ne pas être au courant d’un classement”. Reste que “l’affaire Traoré devient une affaire politique”, écrit Assa Traoré. Quand on l’interroge sur son rôle dans la politisation et la médiatisation de ce dossier, Yassine Bouzrou balaie : “Absolument pas. Je ne prends pas de position politique. Ma mission est exclusivement judiciaire.”
Plusieurs causes de décès ont été avancées : une pathologie cardiaque et une infection touchant certains organes, ces deux thèses ayant été invalidées par plusieurs expertises. Trois d’entre elles mettent en avant un “syndrome asphyxique” pour expliquer le décès d’Adama Traoré.
Comment celui-ci a-t-il été provoqué ? L’expertise de synthèse de septembre 2018 affirme qu’il serait bien mort dans ces circonstances, et ce, du fait de sa fuite combinée à deux pathologies dont il était atteint : un “trait drépanocytaire” et une “sarcoïdose de stade 2”. “Pendant environ 15 minutes, il s’ensuit une course-poursuite pendant laquelle M. Traoré est exposé à un effort et à un stress intenses”, écrivent les médecins. S’en serait suivi un “cercle vicieux” fatal.
De quoi exonérer les gendarmes, placés sous le statut de témoins assistés pour “non-assistance à personne en péril”. Pas de quoi convaincre les Traoré qui réclament leur mise en examen et un nouvel interrogatoire par les juges : L’Obs a révélé que les questions à ce propos n’étaient revenues que “timidement” lors de leur audition.
La thèse de l' »asphyxie positionnelle »
La famille a donc, à ses frais, commandé une contre-expertise qui a été versée au dossier. “L’expertise de synthèse de septembre 2018 était de mauvaise qualité. D’abord parce qu’elle partait du principe qu’Adama Traoré avait fourni un effort maximum durant 15 minutes, ce qui est faux. En outre, les experts ne connaissaient pas la drépanocytose et la sarcoïdose.
Comme ils mettaient en avant ces pathologies rares pour expliquer la mort, nous estimions que la moindre des choses était d’avoir recours à des spécialistes”, dit maître Bouzrou. Comme l’a écrit Le Monde, les caméras de sécurité ont montré qu’il avait couru sur de courtes distances. Enfin, les médecins chargés de l’expertise de septembre n’étaient pas, contrairement à ceux mandatés par l’avocat, des spécialistes de ces maladies.
Dans leur contre-expertise, ils écartent les conclusions de leurs pairs, questionnent leur éthique médicale et incitent les juges à s’intéresser à la thèse de l’asphyxie positionnelle.
Yassine Bouzrou abonde : “La contre-expertise privilégie la thèse de l’asphyxie positionnelle ou mécanique résultant de l’interpellation.” Dans un communiqué, les avocats des gendarmes ont dénoncé le “choix d’une justice médiatique en communiquant à la presse un document censé discréditer l’expertise de synthèse, confiée à un collège d’experts judiciaires figurant en procédure depuis près de six mois, et n’ayant généré aucune demande de contre-expertise de leur part”.
Pour la famille Traoré, “la seule option respectueuse de la loi serait de poursuivre les gendarmes pour violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner”
Maître Bouzrou affirme que celle-ci a été faite auprès des juges, sans succès. Leur texte ajoute que “les conditions de l’établissement de ce document (…) suscitent de légitimes interrogations”.
Le conseil des Traoré tonne : “La seule option respectueuse de la loi serait de poursuivre les gendarmes pour violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner” – dans le cas contraire, ils “épuiseront toutes les voies de recours”. Une façon d’arriver “au vrai débat juridique : savoir si les gendarmes ont fait preuve d’une violence illégitime ou non.” Contacté, le Parquet de Paris n’a pas donné suite à nos sollicitations.
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