Le candidat de la droite dure, Ivan Duque, qui souhaite « réviser » l’accord de paix avec les FARC, est arrivé en tête au premier tour de l’élection présidentielle en Colombie. Il sera opposé à Gustavo Petro, le candidat de centre-gauche, lors d’un deuxième tour incertain.
La Colombie est à la croisée des chemins. Ce 27 mai la droite dure, opposée aux accords de paix signés il y a deux ans avec les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC), est arrivée en tête au premier tour de l’élection présidentielle. Ivan Duque, candidat du Centre démocratique (populiste de droite), a obtenu 39% des voix. Désigné comme l’héritier de l’ex-président Alvaro Uribe, dont le mandat (2002 – 2010) avait été marqué par de nombreuses exactions au nom de la lutte contre la guérilla marxiste, il milite pour une « révision » des accords de La Havane, qui avaient conduit la guérilla vieille d’un demi-siècle à rendre les armes l’été dernier.
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“La logique n’est pas toujours à la barre en Colombie”
La mise en œuvre des accords de paix en Colombie dépend donc du deuxième tour, qui aura lieu le 17 juin, et qui opposera Duque au candidat de centre-gauche, Gustavo Petro (25%). Cet ancien maire de Bogotá, et ex-guérillero dans le M-19 (une autre guérilla marxiste active en Colombie de 1974 à 1990), est certes loin derrière le candidat de droite. Mais il pourrait bénéficier du report des voix du troisième candidat, l’ancien maire de Medellín, Sergio Fajardo, soutenu par une coalition du centre, du centre-gauche et des verts, qui a obtenu 23,72% des voix.
“L’électorat de Fajardo va se diviser. La logique voudrait qu’il aille plutôt vers Petro, mais la logique n’est pas toujours à la barre en Colombie – on l’a vu avec le référendum qui avait désavoué les accords de paix en 2016 [le ‘non’ l’avait emporté de justesse, avec une abstention de 62%, ndlr]”, analyse Maurice Lemoine, ancien rédacteur en chef du Monde diplomatique et spécialiste de l’Amérique latine.
Une élection historique à plusieurs titres
La présidentielle colombienne de 2018 est historique à plusieurs titres. D’une part, la gauche sera présente au deuxième tour, alors que ses candidats ont souvent été assassinés par le passé. Ce fut le cas du candidat du Parti libéral (centre-gauche) Carlos Galán en 1989, et de Jaime Pardo Leal et Bernardo Jaramillo Ossa (respectivement en 1987 et 1990), tous deux candidats à la présidentielle pour l’Union patriotique (UP), parti issu des guérilleros démobilisés des FARC et du Parti communiste colombien. “C’est une nouveauté, note Maurice Lemoine. La gauche a déjà réussi à se faire élire dans les grandes villes, où l’œil international est beaucoup plus présent (Bogotá, Cali, Medellín), mais les campagnes sont encore sous la sujétion de groupes armés, et d’une oligarchie locale particulièrement archaïque, comme on le voit avec les assassinats de militants et de dirigeants de gauche encore aujourd’hui.”
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D’autre part, la participation a atteint un taux exceptionnellement élevé, avec 53%. L’effet des accords de paix se fait donc sentir : ils ont permis que les élections se déroulent dans le calme, d’où cette affluence. Enfin, cette élection pourrait jouer un rôle déterminant dans la mise en oeuvre des accords de paix, déjà amplement mis à mal lors de cette fin de mandat du président Santos.
“Duque ne fera que continuer dans la remise en cause des accords”
En effet, des dizaines d’ex-guérilleros ont été assassinés depuis que les FARC ont rendu les armes, la loi d’amnistie pour les prisonniers peine à être appliquée, et leurs conditions de réinsertion dans la vie civile ne sont pas assurées. A tel point que les FARC, devenues un parti politique en 2017 en gardant le même acronyme (Force alternative révolutionnaire commune) menacent de reprendre les armes. L’élection de Duque, qui se défend de vouloir “réduire en miettes” l’accord de la Havane, tout en souhaitant le réviser, pourrait précipiter cette crise.
“L’ambiguïté de cette affaire, c’est que les accords de paix sont déjà remis en cause depuis leur signature, c’est une catastrophe, développe Maurice Lemoine. La parole de l’Etat n’a pas été respectée : on a remis ces accords de paix entre les mains du congrès, qui les modifie sur un mode très défavorable à la guérilla. Duque ne fera sans doute que continuer dans cette tendance.”
Le spectre du « castro-chavisme »
Peut-on espérer un sursaut des citoyens favorables à la paix, et susceptibles de s’unir derrière la candidature de Gustavo Petro pour éviter le pire ? L’hypothèse est plausible, même si les centres urbains, historiquement préservés de l’expérience de la guérilla, se mobilisent peu sur cette question : “On se retrouve un peu dans la configuration qui a permis la réélection de Santos en 2014. La droite arrive en tête : cela montre qu’il y a un courant très fort qui est toujours opposé aux accords de paix. Mais au deuxième tour Santos avait réussi à se faire réélire, par l’addition des voix de tous ceux qui étaient en faveur des accords de paix. Le report des voix de Fajardo va avoir un rôle capital”, note Maurice Lemoine.
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Le profil d’Ivan Duque par rapport à celui de Gustavo Petro pourrait cependant l’avantager. Ce-dernier a été guérillero dans le M-19, ce qui n’est pas neutre dans l’imaginaire colombien. De plus, en dépit du fait qu’il condamne le gouvernement de Nicolas Maduro au Venezuela, son admiration pour Hugo Chavez est agitée comme un chiffon rouge par une partie de la droite sous le label stigmatisant de « castro-chavisme ». En comparaison, “Duque a l’avantage de ne pas être un homme politique traditionnel : il vient du secteur économique, ce qui, dans un pays où la classe politique est assez discréditée, peut aussi être un avantage”, émet Maurice Lemoine. La Colombie sera fixée le 17 juin.
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