Avec 53,64% d’abstention au premier tour des régionales, le discours sur la « dépolitisation » et le débat sur le vote obligatoire ressurgissent. Pourtant, rappelle la politologue Anne Muxel, l’abstention constitue aussi un moyen d’expression politique. Interview.
53,64% d’abstention au premier tour des élections régionales dimanche. Le discours sur la « dépolitisation » et le débat sur le vote obligatoire ressurgissent. Pourtant, rappelle la politologue Anne Muxel, l’abstention constitue aussi un moyen d’expression politique à part entière. Interview.
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Comment analysez-vous l’abstention de dimanche, qui atteint un record pour un premier tour d’élections régionales ?
C’était prévisible, étant donné le faible intérêt des Français pour ces régionales et la relative atonie de la campagne, sans enjeu mobilisateur. Ajoutez à ceci que cette élection n’était couplée à un autre scrutin, ce qui tire vers le haut la participation.
Mais il ne faut pas avoir d’interprétation univoque. Quand l’abstention est aussi massive, elle concerne des personnes appartenant à des milieux sociaux divers, ayant des sensibilités politiques différentes. Vu le chiffre, elle a touché davantage l’électorat de droite sans ignorer la gauche, et concerne forcément des catégories qui participent plus d’habitude.
Alors pourquoi tant d’électeurs ne se sont pas déplacés ?
Une partie d’entre eux ne s’intéressaient pas aux élections régionales, ils étaient relativement indifférents, lointains. D’autres étaient satisfaits du bilan dans leur région, ce qui ne les amenait pas à se déplacer. Par ailleurs un petit tiers d’abstentionnistes déclare exprimer une sanction à l’encontre du gouvernement. L’abstention est devenue un mode d’expression politique et démocratique à part entière, avec une dimension protestataire, qui vise à véhiculer des messages.
Dans cette perspective, est-il utile de vouloir lutter contre l’abstention ?
Un nouveau modèle se met en place : un électeur intermittent, qui décide de voter ou non, en fonction de la nature de l’élection et de l’importance des enjeux. Au fond, l’abstention peut être considérée comme un signe, un moyen d’expression politique, un nouvel outil de la palette.
Tout comme la manifestation, qui a de plus en plus de légitimité dans l’opinion. L’électeur de demain va user de son vote, mais aussi éventuellement de son abstention, en fonction des réponses qui lui apparaîtront les mieux adaptées.
Vouloir contrecarrer l’abstention, par exemple en rendant le vote obligatoire, ne me semble pas du tout aller dans le sens de ces évolutions profondes du comportement électoral.
Peut-on estimer la proportion d’abstentionnistes systématiques et de personnes non inscrites sur les listes électorales ?
6 à 7 % de la population en âge de voter n’est pas inscrite sur les listes électorales. Ça a plutôt tendance à diminuer depuis l’inscription automatique pour les jeunes à partir de 18 ans. Mais on peut facilement se retrouver désinscrit des listes électorales parce qu’on a déménagé. C’est le cas notamment des jeunes, qui dans un premier temps sont inscrits au domicile de leurs parents, puis bougent et ne mettent pas à jour leur inscription.
Par ailleurs, 10 à 12% des abstentionnistes ne votent jamais, une proportion structurelle stable, très associée à des facteurs sociologiques. Pour des raisons d’insertion sociale et économique, ces personnes restent très distantes de la politique, durablement « hors jeu ».
C’est plutôt la part des abstentionnistes intermittents qui crée la dynamique d’augmentation de l’abstention ces dernières années. Les responsables politiques essaient d’utiliser l’abstention dans leur discours public pour remobiliser.
Ça peut marcher ?
Evidemment ils ont tout intérêt à le faire. Il faut remobiliser les électorats, avec cette agitation du spectre du retour du Front national. Cette espèce de mobilisation républicaine, à laquelle la droite comme la gauche appellent, est assez compréhensible.
Pour autant, il me semble qu’il ne faut pas en attendre beaucoup. On ne voit pas comment en quelques jours la campagne pourrait susciter l’engouement. Il y aura un correctif à la marge, mais je ne crois pas qu’on rattrape les 15 points de retard par rapport à 2004.
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