Un sénateur a déposé un projet de loi visant à obliger les blogueurs à décliner leur identité. La blogosphère dénonce à coup de posts l’absurdité d’une telle loi.
Les post fusent en tout sens. Et l’appel lancé hier par Pierre Chappaz, le directeur général de Wikio, et divers acteurs de l’Internet français a déjà recueilli plus de 1 500 signatures. C’est une proposition de loi déposée par le sénateur Jean-Louis Masson visant à mettre fin à la possibilité, pour les blogueurs non professionnels, de rester anonymes qui a mis le feu à la Toile.
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En gros, sa proposition de loi alignerait le statut des blogueurs sur celui des professionnels de l’information pour « faciliter l’identification des éditeurs de sites de communication en ligne ».
« Il s’agirait, s’indigne l’appel, de leur imposer la publication de leur nom, de leur adresse, de leur adresse mail et même de leur téléphone. »
Actuellement, la responsabilité des blogueurs est régie par la loi sur la confiance dans l’économie numérique (LCEN) qui prévoit, dans son article 6, le droit pour les « non professionnels » à protéger leur anonymat. Mais Jean-Louis Masson s’inquiète de la multiplication des « propos inexacts, mensongers ou diffamatoires qui sont, hélas, de plus en plus souvent colportés sur la toile ».
« L’anonymat n’existe jamais vraiment sur Internet »
« L’anonymat fait partie des libertés et des charmes d’Internet », commente Pierre Chappaz, à l’initiative de l’appel. « Prendre un pseudo une pratique très ancienne, souligne quant à lui Maître Eolas, l’avocat blogueur. « Rabelais ou Voltaire avaient des noms de plumes. »
Et les signataires de l’appel expliquent que « les blogueurs qui choisissent l’anonymat le font pour des raisons liées à leur vie professionnelle ou personnelle. Sans cet anonymat, beaucoup arrêteraient de bloguer. »
Tous voient donc dans cette proposition la preuve de la méfiance de la sphère politique à l’égard à Internet. D’une grande méconnaissance aussi. « Dénigrer Internet est très à la mode en ce moment, note le directeur de Wikio, car les politiques sentent qu’ils n’arrivent pas à contrôler Internet aussi bien que les médias traditionnels. »
« Comme si l’anonymat était forcément suspect, fait remarquer Maître Eolas, plus connu sous son pseudo que sous son véritable nom. Il y a un grand malentendu sur ce terme. On n’est jamais vraiment anonyme sur Internet, puisqu’on utilise toujours un pseudo. »
De l’inutilité d’une nouvelle loi
L’appel insiste sur le fait que cette loi « n’apporterait rien en ce qui concerne la protection contre la diffamation, déjà efficacement assurée par la loi actuelle ».
Aujourd’hui, les blogueurs sont déjà obligés de communiquer leurs coordonnées aux hébergeurs qui peuvent lever l’anonymat en cas de problème.
« C’est une procédure banale, témoigne Pierre Chappaz. Plusieurs fois par semaine, on reçoit des plaintes concernant des billets de blog. Si on considère que la demande est justifiée, on fait retirer le post. Et si une procédure judiciaire est engagée, nous sommes tenus de communiquer les coordonnées des blogueur au juge. »
« La loi française fait figure d’exception en la matière, confirme Basile Ader, avocat spécialiste des médias. Il n’y a pas d’impunité, contrairement à ce que peuvent penser certains. »
Jean-Louis Masson espère aussi faciliter la procédure de droit de réponse. Mais dans une lettre ouverte au sénateur, Nicolas Poirier, responsable juridique chez Overblog, une des principales plateformes de blog, rétorque « qu’il est beaucoup plus aisé de faire publier un droit de réponse sur un blog que sur un quelconque site de presse classique. »
Nicolas Poirier évoque aussi la difficulté d’appliquer une telle loi. « Il est aujourd’hui impossible, à partir des informations communiquées par un internaute, d’avoir la certitude absolue que l’identité qu’il a communiquée est réelle. »
Le risque de l’autocensure
Pour les signataires de l’appel, c’est bien sûr « la liberté d’expression » sur le Web qui est en jeu. Si cette loi était un jour adoptée, un blogueur comme Maître Eolas devrait se dévoiler. « Au risque de s’autocensurer », pointe l’avocat Basile Ader.
Cette loi est aussi dangereuse pour les internautes, qui « risquent d’être harcelés par des internautes malintentionnés qui, eux, resteront totalement anonymes », prévient le responsable juridique d’Overblog. Et Nicolas Poirier de provoquer un peu en évoquant les collègues députés ou ministres du sénateurs qui ne « seraient pas enchantés de devoir communiquer leurs coordonnées personnelles sur leurs blogs« . Vu comme ça, on sent bien que les blogueurs n’ont pas trop de souci à se faire.
Un rapporteur a déjà été nommé. Mais Maître Eolas est plutôt optimiste. « Le groupe centriste avec Jean Arthuis a pris position contre la loi et le gouvernement à autre chose à faire que de se mettre dans une nouvelle polémique. Donc on peut penser que cette proposition ne sera jamais mise à l’ordre du jour. »
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