Depuis 2000, la révolution numérique, le développement du câble et de la TNT ont fragmenté le public. Malgré tout, séries américaines et télé-réalité ont permis aux chaînes de fédérer des spectateurs.
Depuis l’an 2000, que reste-t-il de toutes ces heures passées devant la télévision ? Si le PAF des années 1990 fut d’un calme relatif en offrant aux téléspectateurs des repères faciles (peu de chaînes, des programmes qui fédéraient…), les années 2000 furent celles des déflagrations en série. De massifs, les écrans sont devenus plats, les contenus et les modes de diffusion ont été reconfigurés. La télé a plus changé en une décennie que depuis sa naissance.
Des années 1950 à la fin des années 1990, l’épopée du petit écran peut se résumer à l’invention, puis à la consolidation d’un média de masse. Mais les années 2000 ont brisé le modèle originel. En 2006, le sociologue Jean-Louis Missika annonçait “la fin de la télévision”. Une formule provocatrice moins catastrophiste que cathartique qui semblait dire : “La vieille télé est morte, entrons dans l’âge de la post-télé”.
Révolution numérique, vidéo à la demande, développement du câble et de la TNT : autant d’évolutions techniques qui ont modifié le rapport à la télévision. Nous sommes maintenant dans l’ère des microliens, forts mais dispersés. De masse, rassemblant toute la famille, le média est devenu de niche et les grandes chaînes fédératrices, courent désormais après leur gloire passée. Hormis ces évolutions techniques synonymes de dispersion des téléspectateurs, les années 2000 ont consacré deux modes de récit : la série et la télé-réalité.
Si les années 1990 marquent le renouveau de l’écriture de la série, les années 2000 furent celles du sacre du genre : des Soprano à Six Feet under, de 24 heures chrono à Sur écoute (The Wire), de Desperate Housewives à Mad Men, de A la Maison Blanche (The West Wing) à Sex and the City, de Grey’s Anatomy à Dr House, de The Shield à Lost, Hollywood a musclé sa machine télévisuelle, pour en faire le nouvel eldorado des auteurs. David Chase, Aaron Sorkin, Darren Star, Michael Crichton, Alan Ball, Matthew Weiner, Marc Cherry, David Simon, Shawn Ryan, et d’autres encore, sont les vrais héros des années 2000. Dans l’histoire de la télévision, cette décennie restera certainement comme l’âge d’or de la série américaine, moins aseptisée que le tout-venant de ses molles productions pour le grand écran.
Il fallait bien un revers à la créativité narrative des séries. La télé-réalité a rempli cet office. Avec deux émissions séminales – The Real World sur MTV et surtout Big Brother, inventé par Endemol, le producteur incontournable de la décennie –, elle devint le prisme obsessionnel du divertissement. En France, Loft Story a ouvert la voie à ce genre sans définition propre, décliné sous toutes les formes, mais où les candidats étaient bien plus contrôlés que livrés à eux-mêmes.
Des jeux d’aventure aux télécrochets, des tentations séductrices aux expériences carcérales, du coaching au relooking, la télé des années 2000 a délaissé le “reality show” des années 1980-1990 pour ce que le critique Eric Troncy a baptisé la “RealitY” : l’art de réinventer une triste réalité. Séries et télé-réalité, ces deux “inventions” narratives, ont protégé la télé d’une usure trop rapide, notamment auprès de jeunes prompts à snober un média vieillissant.
Mais, à la périphérie, un autre motif de remise en cause de la télé a surgi : la critique des médias, de plus en plus partagée par un public curieux de mieux saisir les modes de fabrication et les ficelles manipulatrices des émissions. Prise entre attraction et rejet, la télé des années 2000 n’a pas encore totalement livré la “secret story” de ses paradoxes.