L’appli StasiVR se propose de nous plonger dans l’atmosphère oppressante d’un interrogatoire de la Stasi, donnant un aperçu vertigineux des techniques de manipulation dont usait la police politique de l’Allemagne de l’Est pour obtenir des aveux. Flippant.
Un bureau typique de l’administration est-allemande : sommairement meublé, dominé par les tons gris. Au mur, un portrait d’Erich Mielke, le redoutable ministre de la Sécurité d’Etat en RDA. Une tasse de café fumante, un cendrier.
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L’interrogatoire peut commencer. Une fois le casque de réalité virtuelle abaissé sur les yeux, c’est en tant qu’observateur passif que l’on assiste à une scène qui s’est réellement déroulée à l’automne 1989 dans les bureaux de la prison de la Stasi, à Berlin-Est.
Uwe Hädrich, haut fonctionnaire économique de la RDA, est accusé d’avoir tenté de s’enfuir à l’Ouest avec sa famille au cours d’un séjour à Budapest quelques mois plus tôt, et d’être un espion à la solde des services secrets ouest-allemands.
Il est connu en Allemagne comme le dernier prisonnier de la RDA : il a été libéré en décembre 1989, quelques semaines après la chute du Mur, au terme de trois mois de détention. Si le régime de la République démocratique allemande ne s’était pas écroulé entre-temps, Uwe Hädrich aurait très probablement été condamné à une peine de prison d’une quinzaine d’années.
Des interrogatoires étirés sur six heures
A partir des enregistrements des innombrables interrogatoires qu’a subis le détenu “225/1” au cours de son long séjour dans l’effroyable centre de détention provisoire de Berlin-Hohenschönhausen, la journaliste Jana Wuttke, qui officie sur la station de radio publique allemande Deutschlandradio Kultur, a tenté de reconstituer l’atmosphère qui régnait dans le bureau où Uwe Hädrich était convoqué presque chaque jour.
“La réalité virtuelle a l’avantage de réunir de nombreux médias et c’est encore un champ peu exploré dans le domaine journalistique. Elle permet de créer de l’empathie chez l’utilisateur, mais aussi de manipuler”, explique-t-elle.
Et le procédé fonctionne : même si l’application n’offre pas – encore, puisqu’il s’agit d’une première version – la possibilité de se glisser dans la peau du policier et du prisonnier, elle donne à ressentir l’atmosphère oppressante, dans l’étroitesse du bureau, de ces interrogatoires à répétition, qui s’étiraient généralement sur six heures…
Un taux de réussite de près de 90 % lors du premier interrogatoire
Le ton parfois mielleux, presque paternel, du fonctionnaire de la Stasi chargé de cuisiner Uwe Hädrich pendant des mois, à coups de preuves et de faux témoignages, laisse entrevoir à quel point ces fonctionnaires rusaient.
“Dans la prison de la Stasi, les détenus étaient déshumanisés. On leur donnait un numéro, on ne les appelait plus par leur nom, les gardiens les tenaient dans un état d’isolement social, explique Jana Wuttke. Le fonctionnaire qui menait l’interrogatoire devenait ainsi la seule personne avec qui le détenu avait des contacts humains. Il lui offrait du café et des cigarettes, et construisait ainsi une relation de confiance.”
Au point que la Stasi se targuait à l’époque d’avoir un taux de réussite de près de 90 % à l’issue du premier interrogatoire. Car il ne s’agissait que de ça : “Ces méthodes n’avaient pas pour but d’obtenir la vérité mais des aveux, souligne la journaliste. Et c’est toujours le cas de nos jours dans le monde. Quand on manipule quelqu’un psychologiquement, on peut produire des aveux qui amènent à condamner des journalistes, des artistes à des fins politiques.” Annabelle Georgen
appli StasiVR, sortie mars 2017, disponible en allemand et en anglais sur iOS et Android
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