Réputé pour ses torrents de boue et sa programmation pointue, le célèbre festival malouin La Route du Rock fête ses 25 ans cette année. Et en très belle compagnie (Björk, Thurston Moore, Ride, Flavien Berger…). The Cure, Placebo, Beth Gibbons, le garage rennais et les coupes budgétaires: on s’est entretenus avec son directeur et programmateur François Floret et son co-programmateur Alban Coutoux.
Votre plus grande fierté cette année ?
François Floret : C’est d’être rendu à 25 ans ! C’est bateau comme réponse mais c’est sincère. Quand tu fêtes tes 25 ans, tu regardes un petit peu en arrière, et là, on se dit que malgré tout ce qui nous est arrivé, malgré le peu d’aides dont on bénéficie, on est toujours là. On a un festival qui tient la route, qui respecte les codes. On a su se remettre en question les années où ça n’allait pas, notamment en 2012, une année un peu dure. La fierté vient du fait qu’on ait réussi à réinventer La Route du Rock sans la dénaturer. Au bout de 25 ans, on a une Route du Rock moderne, pas juste une redite, une Route du Rock qui s’est même enrichie. C’est ce que j’appelle un « Wikipédia festival », un festival à l’écoute des gens. On écoute notre public, on fait le tri parmi les propositions, mais il y a souvent de très bonnes idées !
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Et concernant la programmation, je suppose que vous retenez surtout Björk?
Alban Coutoux: La programmation d’un festival, c’est un ensemble plus qu’une addition de noms. C’est au moment où l’on regarde la trentaine d’artistes qu’on a programmés qu’on peut voir s’il y a une cohérence, s‘il y a des correspondances entre les groupes. Il ne s’agit pas de coller ensemble un truc électro, un truc pop et un truc rock. Pour l’instant, on est plutôt contents de la programmation de cette année. Elle est assez équilibrée, entre les artistes installés et émergents, les styles qu’on défend, avec Björk en tête d’affiche.
François Floret : Björk est connue pour son exigence. Elle ne joue pas où elle n’a pas envie de jouer, ce n’est pas un pion qu’on place sur un festival. Elle en fait d’ailleurs assez peu. Pour toutes ces raisons, on est très fiers d’avoir été choisi !
Alban Coutoux: Et, au vu de son dernier album, Björk reste toujours pertinente sur sa proposition artistique. On ne cherche pas à faire une tête d’affiche pour la tête d’affiche. Pour nous, un artiste doit rester pertinent, comme Nick Cave par exemple. On ne veut pas quelqu’un de connu mais qui n’a plus rien à dire.
François Floret : Tous les artistes doivent s’articuler au sein du projet artistique Route du Rock. On est souvent décrit comme une sorte de Mecque de la musique indé l’été. Et on en est très heureux ! Je préfère qu’on nous voie comme ça que comme un « festival hipster »
Vous programmez cette année deux espoirs français : Forever Pavot et Flavien Berger. Assiste-t-on à un renouveau de la scène pop hexagonale selon vous ?
Alban Coutoux : On nous a longtemps reproché de ne pas faire de groupes français à la Route du Rock. Et, en effet, le festival défend depuis ses débuts le rock indépendant principalement anglo-saxon. Mais on a eu Dominique A en 93 par exemple, qu’on suit depuis longtemps. Actuellement, il y a plusieurs scènes très vivaces en France, dont la scène garage. Il y aussi la cold wave avec un groupe comme Grand Blanc. Et bien sûr le label Born Bad, qui sort de très bons disques.
Après Thee Oh Sees en 2013, vous accueillerez cette année Fuzz, le groupe de Ty Segall, autre figure de la scène garage-psyché californienne, vous la suivez de près ?
Alban Coutoux : C’est une scène que je suis depuis de nombreuses années. Au début des années 90, je faisais partie la scène garage rennaise, qui était très active. Le DIY est une façon de faire ce qu’on a envie de faire par soi-même, malgré le peu de moyens dont on dispose. Concernant le garage, nous ne sommes pas dans une posture revivaliste. On ne veut pas faire les groupes coupe au bol-nuggets-1966. La scène garage est actuellement vivace parce qu’il y a quatre gamins, deux guitares, une batterie et qu’ils reprennent du rock’n’roll en s’intégrant dans l‘histoire mais en proposant quelque chose de nouveau, pas une copie conforme de ce qu’il y avait il y a 50 ans. Dans les années 80, la scène garage était pour le coup très revivaliste.
Quels étaient les groupes-phares de cette scène garage rennaise des nineties ?
Alban Coutoux: Il y avait les Gloomies, les Trapmen, dont je faisais d’ailleurs partie. Ça a duré trois ans. On suivait l’esthétique nuggets des Pebbles, de Back from the Grave etc. Il y avait encore Les Tontons flingueurs [bar-concerts culte à Rennes, ndlr], qui, avant de bifurquer vers une esthétique punk-hardcore, avait une programmation essentiellement garage. Ils faisaient venir des groupes suédois, américains, et fédéraient ainsi une scène importante. On y a joué plusieurs fois. On a aussi joué à la Cité. Puis, on a fait une escapade à Bordeaux, au Jimmy, et voilà. C’était très local comme scène.
François : et les autres membres, ils sont devenus quoi ?
Alban : Alors, il y en a un qui est en HP. Lui, il ne rigolait pas…
Et toi, François, tu jouais dans un groupe ?
J’aurais pu, mais je suis un gros feignant donc je n’ai jamais appris à jouer ! Je faisais un peu de musique électronique-industrielle avec un copain, Christophe. J’aimais bien les synthés, les claviers et tout ce qui était extrême. Mais c’était surtout pour déconner. J’ai quand même joué un soir avec Obispo ! Mon copain, qui vit en Belgique maintenant, était pote avec Obispo. Il avait fait partie de son premier groupe, Words of Goethe. Un soir, il était passé boire un coup chez mon pote et on avait déconné. Obispo à l’origine c’est un rockeur rennais. Il faisait du rock assez dur !
Revenons aux débuts de La Route du rock. Comment s’est monté le festival ?
François Floret: L’association Rock Tympans, qui existe depuis 86, avait monté la radio Canal B, à Rennes. Une de leurs antennes périclitait à Bru, ils voulaient la relancer pour en faire une radio rock. J’ai fait partie du projet. C’était au moment de l’explosion des radios libres. Il y avait aussi Radio Savane à Rennes qui avait été censurée par le maire parce que ça allait trop loin. Les mecs étaient bourrés à l’antenne, disaient n’importe quoi. Lors d’une émission, on a rencontré Ludovic Renoult, un Malouin qui organisait des concerts avec son association, Sidérant. Il venait faire la promo d’un des concerts, Little Nemo, un groupe qu’on avait nous-même programmé à Rennes. On a sympathisé, on a parlé de son concert, on est allé boire un coup. Le mec était plus pop sautillante, style Little Rabbits et compagnie, que nous, qui étions très new wave et cold wave. Mais on s’est dit pourquoi pas faire autre chose que des concerts ponctuels. Il savait que le maire de Saint-Malo était favorable à un festival de rock. En février 91, sans grande ambition, on a donc monté un festival sur deux jours. C’était avant tout des concerts d’étudiants. En 92, on a vaguement essayé d’avoir un concept. On a voulu être un festival francophone ! Ne me demande pas pourquoi, moi je ne pilotais pas à l’époque, je suivais. Franck Rolland et Stéphane Ridard, qui étaient les leaders, voulaient se différencier de tout le monde. Ça marchait mais ça ne nous ressemblait pas. C’était trop artificiel. On s’est dit que la 3e édition devait être pop-rock. En 93, le festival ressemblait déjà plus à aujourd’hui Après on a rencontré Bernard Lenoir, qui cherchait à parrainer un festival moins commercial que les Eurockéennes. On venait de faire Radiohead, à l’Espace à Rennes, devant moins de 100 personnes. Tu sais, ce petit groupe d’Oxford qui est devenu has been ! (Rires) On avait aussi fait Elastica, Stereolab… Lenoir avait donc entendu parler de nous. Il a décidé de nous aider. Mais il voulait que le festival se déroule l’été. C’est comme ça que La Route du Rock est devenu un festival d’été.
Alban Cotuoux: La collection hiver s’est rajoutée en 2006, suite aux 15 ans du festival avec la date des Cure de 2005 qui avait très bien marché. Attendre un an pour programmer c’est toujours un peu frustrant, surtout que les choses vont de plus en plus vite…
François Floret : 2005 c’est l’année historique, la plus grosse édition du festival ! On avait tout : le groupe mythique, la retransmission en directe sur Arte, une fréquentation record. On avait tout pour se lancer sur autre chose! La mairie validait l’idée de ce festival d’hiver et nous aidait un peu plus. Ça a un peu cafouillé les premières années, mais à partir de 2008 on a trouvé le rythme et ça fonctionne depuis.
Les finances du festival n’ont pas toujours été au beau fixe… où en êtes-vous à l’heure actuelle ? Avez-vous subi des coupes budgétaires cette année ?
François Floret : C’est drôle que tu parles de ça. C’est suite à ton article sur les festivals, dans lequel je disais qu’on avait eu zéro coupe, que l’adjoint à la culture de Saint-Malo m’a appelé pour me dire « Je viens de lire les Inrocks, je ne vous ai pas dit qu’on baissait vos subventions ? je suis confus j’ai du oublier… ». On a donc eu une baisse de 10%, soit 15 000 euros. Ce n’est pas catastrophique mais ça reste beaucoup pour nous. Ce qui me vexe doublement c’est que le festival n’est déjà pas soutenu comme il devrait l’être. St Malo ne représente que 7% du budget. Et sur ces 7% on nous en enlève encore 10 ! On va essayer de compenser par des mécénats. On a déjà accroché deux mécènes pour 20 000 euros. Mais ça reste rageant car on a besoin de plus d’argent non pas pour survivre mais pour se développer ! On aimerait maximiser l’accueil, gommer tout ce qui ne va pas, mettre plus de moyen sur le confort du public, lutter sur l’artistique avec plus d’armes.
Vous aimeriez agrandir le festival ?
François Floret : Il y a eu des travaux d’effectués sur le site, et on les appelait de nos vœux depuis presque 15 ans ! Ça ne sera pas miraculeux, mais s’il pleut il n’y aura plus de boue dans l’enceinte concert. C’est la grande nouveauté et la grande fierté de cette année, avec l’arrivée de la déesse Björk et les 25 ans ! A part ça, on est déjà à l’étroit dans le fort…
Alban Coutoux : Pour l’instant on est à trois groupes par soir sur la deuxième scène. L’idée n’est pas de courir à la démesure. Nous, on tient à ce que tout le monde puisse, s’il le souhaite, voir tous les groupes de la prog’, ce qui n’est pas souvent le cas dans les festivals.
François Floret : Dans le contexte actuel, où il y a énormément de festivals, avec parfois un coté inhumain, on a paradoxalement beaucoup à gagner dans le fait de rester humain, dans le fait de conserver un rapport de passionnés à passionnés.
Selon la Sacem, il y avait plus de 1 400 festivals en France en 2013. Cette explosion vous impacte-t-elle ?
Alban Coutoux : Nous, on fait notre truc comme on sait le faire, on ne programme jamais « en réaction ». On a notre identité et on s’y tient. Moi, en tant que festivalier, je vais voir 6-7 concerts max sur une journée, sinon ce n’est plus intéressant. Et, à La Route du rock, les temps de sets sont assez longs. On n’a pas envie de programmer 125 groupes qui ne joueraient que 25 minutes chacun. Ce n’est pas le but. Quand t’as vu 5-6 concerts d’une heure dans la journée, j’estime que c’est suffisant.
François Floret: Les festivals nous impactent au sens où la scène qu’on défend aujourd’hui, on la défend depuis 25 ans, à l’époque où personne ne s’y intéressait. Aujourd’hui, cette scène indé intéresse financièrement, parce qu’elle ramène un peu de monde. Tous les festivals veulent donc ces mêmes groupes, ce qui est emmerdant pour nous car un artiste qui devait, en toute logique, passer à La Route du Rock va maintenant se retrouver ailleurs pour des raisons qui ne sont pas les bonnes. De passer des quasi-premiers à faire ce rassemblement de groupes indé à ça, c’est parfois frustrant.
Pitchfork a lancé une antenne de son festival à Paris il y a cinq ans. ça représente un concurrent pour vous ?
Alban Coutoux : ils ont un public très européen, et la force de frappe du média américain. Ce qui n’est pas notre cas…
François Floret : Que ce soit Rock en Seine, qui s’est lancé en 2003, ou Pitchfork, on est très contents qu’ils aient lieu. On va d’ailleurs souvent à Pitchfork, où travaillent pas mal de nos techniciens. C’est une sorte de collection automne de La Route du Rock ! Mais c’est toujours mieux quand ils arrivent à programmer des choses qu’on n’a pas déjà vues…
Votre meilleur souvenir de La Route du rock ?
Alban Coutoux: On évoque souvent le concert de The Cure en 2005 parce que quand t’as été fan ado, que tavais des posters dans ta chambre, et que tu vois Robert Smith sur scène à ton festival, tu te dis qu’un truc s’est passé !
François Floret: The Cure, c’est un truc qu’on a écouté en boucle quand on était gamins. C’était donc magique de les avoir devant nous, pour nous! Autrement, je pense à Sonic Youth, qui s’était enroulé dans un drapeau de la Route du Rock pour une photo, parce qu’on a piqué leur logo !
Et la fête la plus mémorable ?
Alban Coutoux : Beth Gibbons de Portishead en 98. Andy Smith, qui avait fait le warm up du groupe plus tôt dans la soirée, a dégagé le dj et pris les platines à l’after au bar VIP. Beth Gibbons s’est mise à danser au milieu des bénévoles…
François Floret : En 97, Brian Molko avait mis le bronx à l’hôtel. Du genre cliché : nanas à poils et cocaïne dans la piscine.
La Route du Rock, du 13 au 16 août à Saint-Malo (35), avec Björk, Ride, The Soft Moon, Fuzz, Wand, Jungle, The Thurston Moore Band, Dan Deacon, Viet Cong, Sun Kil Moon, Algiers, Flavien Berger, Forever Pavot, Girl Band…
Soirée « Avant la Route », le 31 juillet au Trabendo, avec Mourn et Baston.
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