Mise à l’amende par le CSA pour ses dérapages trash, l’émission Radio libre est pourtant une référence pour certains jeunes, et rassemble plus d’un million d’auditeurs selon Médiamétrie.
Que fait mon ado enfermé dans sa chambre ? Le parent à la masse ressasse cette angoissante question. Drogue ? Dépression ? Masturbation intensive ? Chaque soir, c’est la même chose : cinq minutes à table et il fuit dans son antre. Enfin seul. Il se glisse sous la couette, éteint les lumières. Et s’adonne à son plaisir solitaire.
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Au même moment, comme lui, des milliers de ses congénères en pleine poussée d’hormones, écouteurs fichés dans les oreilles, tournent le bouton d’une grande communauté : celle des accros de la libre antenne trash, potache et très très cul de Skyrock.
« J’entendais parler de sexe sans tabou pour la première fois. »
Tout le temps où il était au collège, Victor n’a pas loupé une émission de Radio libre, héritière de l’ère Doc et Difool sur Fun Radio au début des années 90. Difool, ado attardé et macho, et le pédiatre « ce n’est pas sale » désamorçaient les angoisses adolescentes. Les jeunes se pressent au confessionnal.
En 1996, Skyrock débauche Difool, seul. Depuis quatorze ans, tous les soirs à 21 heures, il joue au grand frère, au mec sympa. Dans son équipe, Marie, l’alcoolo dépucelée à 12 ans. Cédric, le con. Romano le radin, qui annonce le lundi le nombre de ses masturbations du week-end. Sami, le Marseillais fan de l’OM et Momo, le Parigot. Le principe ? Parole aux jeunes ambiancée par des experts du sexe fournisseurs d’infos pratiques. « Comme des potes qui rigoleraient entre eux », précise Victor, 23 ans, ancien auditeur. Trois heures d’un défouloir aux résonances hystériques, pas toujours fines.
Radio libre rassemble plus d’un million d’auditeurs, selon Médiamétrie. Presque autant de filles que de garçons. Une émission au hasard. Un auditeur appelle pour témoigner qu’il se fait traiter de « gros cul » par sa copine. S’engagent vingt minutes de grosse déconnade.
Romano : « Elle est chieuse, c’est une meuf normale. » Marie : « Oh, dis donc ! » Un autre : « Pète-lui à la gueule. » Romano, encore : « Je lui dis ta gueule espèce de truie, va te faire enculer. »
Une auditrice témoigne à son tour de sa condition de femme à gros cul. Séquence émotion. Suivante. Suzie ne s’entend pas avec son père, elle demande conseil pour prendre un appart. Anthony, 17 ans, a eu la chance de passer à l’antenne : « Je cherchais des conseils pour devenir journaliste, ils ne m’ont pas déçu. » Il a aussi beaucoup appris sur l’approche des filles : « Après l’école, je lui demande si elle veut faire un petit Flunch, un petit McDo, un ciné… »
« Cette émission a fait toute mon éducation sexuelle », raconte Amandine, 27 ans, qui a grandi dans une famille bourgeoise coinços. « Surtout pour l’épilation intégrale. »
Par contre, elle a été rebutée par le dépucelage de Marie sur une table de ping-pong : « Avec ses chaussettes ! Je me suis dit, toi ce ne sera pas comme ça. » Sophie, 25 ans, accro pendant un mois à 14 ans, rigole : « Tu te poses 20 000 questions, t’écoutes l’émission en cachette et tu te dis que le sexe c’est vraiment dégueulasse car t’entends les pires histoires. » Du genre ? « Je sodomisais ma meuf, elle m’a fait caca dessus par accident, depuis je n’arrive plus à la niquer. Qu’est-ce que je peux faire ? » Cette vulgarité a gêné Pascal quand Milan, son fils de 10 ans, est devenu accro à Skyrock.
« Je l’ai chopé une fois à écouter en douce au fond de son lit à 22 heures… Il n’y a rien d’autre que du rap et des gamineries. »
Les délires scato, les blagues à base de biroutes ou de chattes, tout y passe. Tout comme les stéréotypes sexistes – « c’est une chienne, elle adore ça » – courants chez les ados, dont Radio libre se veut la caisse de résonance.
Marie, la voix féminine, sert de défouloir face aux assauts machos et couillus de ses comparses. « C’est pas du grand romantisme sur les rapports hommes/femmes, concède Amandine, mais c’est pas plus sexiste que dans la vraie vie, pas plus vulgaire qu’un titre de Booba. »
Mais le CSA s’est immiscé dans la chambre des ados et ne partage pas cet avis. En 2001, l’autorité de contrôle fait diffuser dans les rédactions un best-of des plus gros dérapages de Difool et sa bande. Romano, en rigolant, suggère à un auditeur de donner « un coup de couteau » pour élargir le vagin de sa copine. En 2004, le CSA interdit les radios de « heurter les moins de 16 ans » avant 22 heures 30. Fini le cul.
« Ses membres n’ont jamais été ados et vivent dans une bulle où les enfants se couchent à 21 heures ! », s’énerve l’avocat Emmanuel Pierrat.
Difool installe une alarme à CSA qui retentit à chaque dérapage. En 2010, Skyrock est condamnée à payer une amende de 200 000 euros pour une discussion datant de 2007, ayant eu lieu avant 22 heures 30, sur la fellation. Un record pour une radio.
Pas pire que Brigitte Lahaie sur RMC en plein après-midi, estime Pierrat : « Il y a parfois des débordements sexistes et nauséabonds mais je préfère une radio où on déborde un peu et où on parle de sexe, de capotes, de sida, de prévention, à des campagnes de pub inefficaces. »
Selon lui, Skyrock est victime d’un délit de sale gueule : « La personnalité de Bellanger, les skyblogs, le ton de la libre antenne, le rap, tout ça déplaît. »
Victor, ex-auditeur, est en rogne : « C’est de l’intolérance, du mépris contre une radio pour jeunes ! Elle démystifie le sexe, met des mots sur des choses effrayantes et s’en moque. Et il y a une véritable dimension éducative. » « C’est pas mes parents qui vont parler de sodomie », confirme Amandine.
Dans son pavillon de banlieue molle, il arrivait parfois à Marc de se masturber pendant l’émission. A 16 ans, contrairement à pas mal de ses potes, il pouvait se vanter d’avoir expérimenté deux fois la fellation. Des expériences décevantes et sans plaisir. Insensible ? Marc n’osait pas en parler : « J’étais mal… entendre un mec à la radio raconter la même chose m’a rassuré : je n’étais plus seul. »
Anne Laffeter
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