Pourquoi un détenu paie-t-il un savon 2,10 € à la prison de Melun et 75 centimes à celle de Fleury ? Un ancien taulard s’attaque au système opaque des cantines.
François Korber a lancé son attaque en commençant par la location des télévisions en cellule. Transféré en 2004 de Riom à Châteaudun, l’administration l’avait contraint de laisser à la fouille un téléviseur qu’il avait acheté légalement deux ans plus tôt. A la place, il devait louer un poste au nouvel établissement pour une trentaine d’euros par mois. Il a été poursuivi en diffamation pour avoir accusé l’Etat d’organiser “un racket institutionnalisé”, mais l’administration pénitentiaire a reculé avant le procès public.
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En toute discrétion, Claude d’Harcourt, ancien directeur de l’administration, a transmis une note le 6 août 2009 à tous les directeurs d’établissements, indiquant que “les personnes incarcérées dans des centres de détention et des maisons centrales (pourraient) acheter un poste de télévision”. Le tout afin d’“harmoniser” des pratiques jugées “préjudiciables” aux prisonniers.
Dans « les “établissements pénitentiaires à gestion déléguée” – les prisons où l’administration confie à des prestataires privés le fonctionnement courant pour conserver les seules missions régaliennes de surveillance et de sécurité –, un accord a permis de plafonner les tarifs de location à 18 euros par mois.
Une victoire de plus pour Korber ? “Il ne suffit pas d’obtenir une décision réglementaire satisfaisante, encore faut-il veiller scrupuleusement à son application”, explique celui-ci, qui s’attelle désormais, à la tête de son association Robin des lois, à vérifier que les établissements tiennent compte de la note d’Harcourt partout en France. Surtout, il compte collecter avant l’été plusieurs dizaines de signatures de détenus afin de saisir la Halde (Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité) et étendre le droit de propriété d’un téléviseur aux prévenus en maison d’arrêt. Les détenus non condamnés sont en effet exclus du nouveau dispositif.
Pour saisir la Halde, Korber doit passer par un parlementaire. Il a déjà reçu le soutien du député PS du Finistère Jean-Jacques Urvoas, vice-président du groupe d’études sur les prisons à l’Assemblée nationale. En visitant divers établissements, l’élu a souvent constaté les faillites du système. “S’il y a trois détenus dans une même cellule en maison d’arrêt, chacun paie la taxe télé pour un seul poste. C’est inouï ! Allons plus loin et faisons payer chaque oeil qui regarde, ce sera beaucoup plus rentable !”, s’indigne-t-il.
Durant les débats sur la loi pénitentiaire à l’automne dernier, le député avait déposé plusieurs amendements – tous rejetés – pour demander la gratuité totale de la télévision en cellule. Dans les prisons gérées par l’administration, l’argent collecté pour la location finit dans les caisses d’associations socioculturelles censées l’utiliser pour développer les activités en détention. Un système peu contrôlé.
Constituée en 1969, l’Assodas (Association de soutien et de développement de l’action socioculturelle, sportive et éducative) de la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis (Essonne) a amassé au fil des ans plus de 800 000 euros de trésorerie grâce aux cotisations des détenus. Cette étrange fortune fait désordre dans le plus grand établissement pénitentiaire d’Europe, avec quelque 2 800 places et 3 440 détenus.
“Il est révoltant de voir de telles sommes placées sur des comptes en banque alors que dans le même temps à Fleury, on attribue les bourses scolaires pour les détenus indigents avec la plus grande mesquinerie”, estime François Bès, responsable de l’OIP en Ile-de-France. La polémique fut telle que le président de l’Assodas dut démissionner lors d’un conseil d’administration en juillet 2009. Alertée, la Chancellerie a également décidé de procéder à une “vaste réorganisation”.
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