Pourquoi un détenu paie-t-il un savon 2,10 € à la prison de Melun et 75 centimes à celle de Fleury ? Un ancien taulard s’attaque au système opaque des cantines.
Dans la cour de promenade, les taulards avaient pris l’habitude de le surnommer “l’avocat”. C’est vrai qu’avec sa chevelure argentée, sa mise élégante et sa diction suave, François Korber ressemble à première vue plus à un homme de loi qu’à un repris de justice.
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A 58 ans, cet ancien chef d’entreprise originaire de la région bordelaise a pourtant passé un quart de siècle en détention. Militant RPR proche de Chaban-Delmas et jeune candidat à une législative partielle, il est condamné au début des années 80 après la mort d’un colleur d’affiches à sa permanence électorale. Accusé de complicité d’assassinat, il plonge pour quinze ans.
A peine sorti, il retourne en prison pour escroquerie avant d’y séjourner une dernière fois pour une affaire de moeurs, qu’il nie. Définitivement libre depuis avril 2009, il a décidé de continuer à mener son combat entamé depuis une quinzaine d’années derrière les barreaux : faire respecter les droits des détenus en multipliant les recours contre l’administration pénitentiaire, “la puissance publique la plus autoritaire et opaque qui soit”.
Opiniâtre, l’homme s’est fait une spécialité des causes perdues d’avance. En 1994, il obtient de la Cour de cassation qu’un prisonnier puisse s’opposer à la révocation de sa libération conditionnelle, une première reconnue depuis par les juristes sous le titre d’“arrêt Korber”. Cinq ans plus tard, il récidive et arrache la venue d’un kiné dans une cellule contre l’avis de l’administration. Enfin, en 2004, il fait constater par un huissier le froid glacial qui règne au mitard de la prison de Riom (Puy-de-Dôme). Encore une première. Dernière bataille en date : le “cantinage”.
Nourriture, vêtements, produits d’hygiène, tabac, télévision… Tout a un prix en prison. Chaque semaine, les détenus, qui ne peuvent pas se faire envoyer de colis par leur famille, cantinent sur des bons différents biens de consommation pour améliorer leur ordinaire. Ils n’ont pas le choix des marques ni le pouvoir de faire jouer la concurrence sur les prix. “Les cantines sont un des symboles les plus forts de l’arbitraire carcéral”, estime Korber.
En 2006, la Cour des comptes a mis le système en cause, regrettant qu’“aucune réglementation d’ensemble n’organise (son) fonctionnement” et dénonçant des “différences significatives de traitement” selon les établissements pénitentiaires. Chaque prison fixe les prix des différents produits suivant les contrats passés avec les fournisseurs locaux, du grand hypermarché à la petite supérette du coin selon les zones.
Une enquête de l’Observatoire international des prisons (OIP) menée en 2009 dans plusieurs établissements franciliens sur le “panier du détenu” – les vingt produits de base les plus cantinés –, a révélé des disparités. Un savon coûte 2,10 euros à la prison de Melun contre 75 centimes à celle de Fleury ; il faut 1,04 euro pour acheter une boîte d’oeufs à la prison de Nanterre contre 53 centimes à Fresnes. Six rouleaux de papier hygiénique valent 1,38 euro à Melun et 90 centimes à Nanterre…
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