Pourquoi un détenu paie-t-il un savon 2,10 € à la prison de Melun et 75 centimes à celle de Fleury ? Un ancien taulard s’attaque au système opaque des cantines.
“Les cantines comme la télévision sont une des conditions de la paix sociale en prison”, explique Elsa Dujourdy, en charge des questions juridiques à l’Observatoire. “La vie d’un détenu se résume souvent au parloir, qui représente le contact avec l’extérieur, la famille et les proches ; à la cantine qui améliore la vie au jour le jour, c’est-à-dire le rapport à l’argent ; et à la télévision, l’une des rares distractions possibles et une autre forme de contact avec la réalité extérieure”, précise la militante.
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Un seul de ces rouages qui se grippe et les conflits entre détenus ou avec les surveillants se multiplient. “Ce qui se trafique le plus en taule, ce n’est pas le shit mais le pain, parce qu’en taule, surtout en maison d’arrêt, on crève de faim”, affirme Abdel Hafed Benotman, qui a passé plus de vingt ans en détention pour braquages. Devenu romancier*, l’ancien prisonnier se souvient de “saloperies” entre détenus autour des cantines.
“La plus fréquente consiste à trafiquer le bon de cantine d’un codétenu pendant son sommeil pour gonfler les proportions et récupérer les produits le jour de leur distribution, en refusant par exemple d’aller en promenade pour rester seul dans la cellule. Si l’autre s’en aperçoit, c’est la baston assurée.”
On est donc bien loin de l’adage sans cesse rebattu : “Les prisonniers sont logés, nourris, blanchis.” La réalité des chiffres, elle, est sans appel : “30 % de la population carcérale, soit plus de 20 000 personnes, vivent avec moins de 45 euros par mois alors qu’il faut entre 200 et 250 euros minimum pour vivre décemment en détention”, rappelle Gonzague Rambaud, auteur du Travail en prison**.
En théorie, les détenus peuvent augmenter leur pécule en travaillant. Sauf que 37 % d’entre eux seulement ont accès à une activité professionnelle ou à une formation. Résultat, c’est leur entourage qui est obligé de payer. Une étude de l’Uframa (Union nationale des fédérations régionales des associations de maisons d’accueil de familles et proches de personnes incarcérées), réalisée en 2009, révèle que les familles – en majorité les conjoints – font parvenir en moyenne plus de 100 euros par mois à leur proche détenu.
A ces sommes s’ajoutent les dépenses pour le transport et l’hébergement s’il faut rendre visite à un prisonnier éloigné. “Il y a une véritable hypocrisie de l’Etat qui prévoit, dans la loi pénitentiaire, de rendre obligatoires les activités professionnelles en détention, pour répondre notamment au problème des cantines, alors qu’en réalité on propose de moins en moins de travail aux détenus”, dénonce Céline Verzeletti, secrétaire générale de la CGT-Pénitentiaire.
Fidèle à sa technique de la guérilla juridique, François Korber a donc l’intention de “mettre sur la place publique le débat des cantines” en portant plainte au pénal contre l’administration pénitentiaire pour extorsion de fonds. Après les télévisions, Robin des lois souhaite faire entrer l’internet dans les cellules avant de s’attaquer au numerus clausus.
La limitation a priori du nombre de places en détention est un sujet interdit. C’est pourtant, selon Korber, “le seul moyen de stopper la surpopulation carcérale*** et de permettre au détenu de se retrouver seul en cellule”. Pour regarder par exemple Prison Break à la télévision.
*Dernier titre paru : Marche de nuit sans lune (Rivages/Noir)
**Aux éditions Autrement
***61706 détenus pour 56324 places au 1er avril 2010 (statistiques du ministère de la Justice).
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