Vedette surprise du Salon du livre, ce roman de 1678 est devenu l’étendard des opposants à la politique culturelle du gouvernement.
Ce fut le best-seller le plus inattendu du Salon du livre. Mardi dernier, au stand Folio, il n’y avait plus un seul exemplaire de La Princesse de Clèves, de Madame de Lafayette. Pour comprendre cet engouement, il fallait faire un détour par le stand du Motif, l’observatoire du livre en Ile-de-France. On y a croisé Marie-Odile, éducatrice, qui est venue comme 3 000 autres visiteurs chercher son badge “Je lis La Princesse de Clèves”. “Mon fils, qui est en seconde, m’a parlé de ce qu’avait dit le président. Du coup, il a choisi de lire le roman et moi aussi.” Et quand on lui demande quel penchant sadique la pousse à s’infliger de telles souffrances, elle répond simplement : “J’ai relu Flaubert et l’Odyssée, pourquoi ne lirais-je pas La Princesse de Clèves ?”
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La question, il faudrait la poser au président de la République en personne. En février 2006, il avait déclenché de gros rires gras lors d’un meeting UMP à Lyon, en s’exprimant ainsi : “L’autre jour, je m’amusais, on s’amuse comme on peut, à regarder le programme du concours d’attaché d’administration. Un sadique ou un imbécile, choisissez, avait mis dans le programme d’interroger les concurrents sur La Princesse de Clèves. Je ne sais pas si cela vous est souvent arrivé de demander à la guichetière ce qu’elle pensait de La Princesse de Clèves… Imaginez un peu le spectacle ! En tout cas, je l’ai lu il y a tellement longtemps qu’il y a de fortes chances que j’aie raté l’examen !”
Suite à ses récidives en 2007 et 2008, la machine Princesse de Clèves s’est mise en branle. Dans les éditos, sur les blogs littéraires, sur Facebook (avec le groupe “Je lis La Princesse de Clèves”), jusqu’à devenir au début de l’année le mode de manifestation pacifique des enseignants-chercheurs et des étudiants. A Poitiers, Avignon, devant le Panthéon, ils ont été des centaines à se relayer pour lire ce livre qui, il n’est pas inutile de le rappeler, est le premier roman moderne de la littérature française.
A cause du – ou grâce au – mépris de Nicolas Sarkozy pour les lettres, lire pourrait devenir un acte de désobéissance civile. Il y a deux semaines, sur le plateau de La Grande Librairie (France 5), l’écrivain Régis Jauffret (Lacrimosa, Microfictions…) proposait même d’envoyer des milliers d’exemplaires à l’Elysée, avant d’ajouter : “Je ne suis pas tellement amoureux du drapeau, mais cracher sur La Princesse de Clèves, c’est cracher sur la France.”
Le patrimoine culturel français, parlons-en. Dans les années 60, un autre président, bien plus grand, au propre comme au figuré, n’avait pas hésité à déclarer : “Pas un illustre capitaine qui n’eût le goût et le sentiment du patrimoine de l’esprit humain.” Voilà jusqu’où Nicolas Sarkozy peut nous amener : à regretter le général de Gaulle.
Gladys Marivat
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