Bilan de cette semaine parisienne.
Les fashion weeks masculines et haute couture viennent de s’achever. Un point commun parmi des propositions des plus variées ? Le désir de sortir d’une culture de défilés dite « Instagram-Friendly », qui dictait jusqu’à là le moindre choix stylistique et scénographique, pensée avant tout pour sa retranscription en ligne.
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Partout, les maisons repensent le lien entre experience intimiste, diffusion mondialisée et instantanée, afin de questionner les frontières poreuses entre le dedans-dehors, l’idée d’insider et d’outsider. Une démarche qui dévoile une soif de de nouvelles règles pour maîtriser le futur de la mode au coeur époque dématérialisée et en 2D.
Partout, les créateurs ont pensés les catwalks comme des spectacles ou le vêtement ne prend sens que lorsqu’il est mis en scène par le couturier de façon consciemment théatralisée. Tableau final ou participation de l’audience: chaque élément devient une pièce détachée d’une œuvre en train d’être composée.
Quand la satire du Buzz fait le Buzz
Chez Viktor and Rolf tout un détournement des rites accolés à la haute-couture s’exerce lors d’un défilé, véritable conte de notre rapport au réseaux sociaux. En détournant les #moods les plus banals et les images issues de cultures alternatives, la griffe Viktor and Rolf crée des modèles coutures hybridés à des slogans et punchlines type « I’m not shy, I just don’t like you » sur une grande robe de mariée-sportswrear.
Si la haute-couture se regarde comme un art, les robes volumineuse de ce défiles évoluent dans une demi-pénombre, repoussant des prise de photo Instagram. Cette mise-en-abyme anti-buzz destinée à créer le buzz, souligne une culture ou le like viral prime sur la valeur esthétique traditionnelle.
Clare Weight Keller et Givenchy Homme
Une présentation intimiste accueillie par la directrice artistique renoue avec la pratique des salons et des tous premiers défilés. Signification de ce retour dans le passé ? Une envie de faire du défilé un moment complètement dédié au vêtement et à son histoire. Des groupes de vingt journalistes ont assisté tour à tour à des présentations commentées par Claire Weight Keller. Une innovation puisque chaque récit étant unique, la médiatisation sera variée et à chaque fois dotée d’une particularité propre à l’expérience du journaliste- soit d’autant plus de raisons de lire les différents comptes-rendus. Cette saison les couturiers ne se contentent pas de confectionner des vêtements : ils tissent le champ médiatique en invoquant l’ontologie même du défilé.
https://www.instagram.com/p/Br8EmNsBIwV/
Olivier Saillard chez J.M. Weston
Si la performance artistique est depuis longtemps empruntée par le champ « avant-gardiste » des créateurs de mode, l’historien Olivier Saillard braque les projecteurs sur la chaussure pour mieux orchestrer une mise en scène ou le public prend le premier rôle. En assistant à cette performance, chacun se fait l’acteur de la fantaisie du Paris d’Olivier Saillard. Gainsbourg, Collette et Kris Jenner font partie d’un récit pince sans rire, ou le créateur mêle anecdotes personnelles, comme pour mieux détendre un public qui ne sait que faire de son téléphone, un verre de rouge dans une main et un jambon beurre de l’autre. L’écoute se fait de manière aléatoire, entre les discussions, le bruit des verres qui s’entrechoquent, et les serveurs sans cesse interpellés. La scène se fondrait parfaitement dans le Midnight in Paris de Woody Allen -soit une mythologie parisienne.
Le retour de VETEMENT dans le calendrier officiel:
Le collectif VETEMENT se positionne comme une marque à la marge dont le but est de travailler les seuils du « scandale de mode ». Les premiers défilés dans des Sex Clubs houleux avaient marqué, et c’est souvent dans un jeu avec le calendrier officiel que Gvesalia, directeur artistique de la maison Balenciaga se place.
Le défilé se clôt sur une singerie de notre condition moderne. Les mannequins cagoulés avancent, et leurs portables deviennent leurs seuls boussoles, celles à travers lesquel leur perception du monde est filtrée. En réincorporant l’espace de la Fashion Week, Gvesalia semble en dire toute l’importance, et rappelle que les créateurs doivent rester maitre de l’image public diffusée. Être son propre canal à l’heure des fake news ?
Du Miroir à L’écran vert : Balmain et Off-white
Illustration de la parfaite tension entre la production d’un défilé instagram et d’un défilé qui critique la dépendance aux réseaux sociaux. Virgil Abloh crée un décor et des pièces qui obligent à braquer son portable tout en illustrant son invitation d’un homme qui se fait aspirer par un écran de télé. Les écrans verts sont-ils l’évolution des miroirs qui tapissaient le défilé Balmain? Si dans le déroulement, ces présentations restent classiques, le concept du décor- soit quelque chose de non-instagrammable, peut être lu comme un geste artistique qui vient questionner les bienfaits des réseaux sociaux.
https://www.instagram.com/p/Bs0P66zHyz8/
Lumière noire et courte focale
La scénographie est un guet-apens à influenceurs. Chez Hed Meyner ils ont relégué la collection dans un couloir qui empêche toute prise de photographie. Jeu d’ombres et de lumières chez Rick Owens, ou encore des flash verts et orange chez Sankuanz dont les invitations sont des portes-portables dans lequel le téléphone ne peut entrer.
Point d’orgue : le final du défilé Thom Browne. Pas l’usuel final où tous les mannequins s’enchainent sur le podium, offrant un panorama instagrammable du défilé, mais une mise en scène ou sont dévoilées de petits mannequins Stockman -difficile à capturer depuis son fauteuil. Le créateur évoque les étapes de créations et plonge dans un passé ou le mannequin vivant n’existait pas. ( avant Charles Worth en 1858)
Les défilés sont bel est bien des événements majeurs : ils définissent les tendances vestimentaires et sont une mise en abîme de leurs médiatisation. La question n’est pas si les défilés vont être remplacés par un alter ego Instagram, mais plutôt comment les deux pratiques peuvent s’articuler, et en quoi cela vient illustrer une reconfiguration des frontières entre outsider et insider dans la mode.
Émanation du réel passé, mise en scène de l’expérience des publics, pièges scéniques : les défilés sont hybrides, duels, divisés, mais tous incorporent instagram et l’influenceur comme des questions incontournables.
https://www.instagram.com/p/BtL4T7MlNdt/
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