[Début de notre série sur les blogueurs et blogueuses sexe] Sur Sexactu, son blog sur le sexe hébergé par « GQ », Maïa Mazaurette analyse relations amoureuses et sexuelles, parle de ses expériences personnelles, et n’hésite pas à signer des tribunes féministes. Du sexisme de « Cinquante nuances de Grey » à la pratique du figging : entretien hot.
Quand avez-vous monté votre blog, et comment vous en est venue l’idée?
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Maïa Mazaurette – Tout ça remonte à avril 2002, autant dire la préhistoire des blogs. Je travaillais à l’époque pour France 3, j’étais reporteure d’images. Entre deux missions, je pouvais m’ennuyer assez ferme. Comme j’avais déjà publié un roman, je me suis dit qu’un « journal intime en ligne » serait un bon moyen de me remettre à l’écriture. Je ne savais même pas qu’on disait « blog »… Je ne connaissais pas ce mot. J’utilisais Multimania, une plateforme plus adaptée au jardinage, mais ça m’allait.
Quand et comment avez-vous commencé à vous intéresser aux sujets ayant trait au sexe ?
Depuis toujours ! J’ai eu la chance d’être élevée à proximité d’une bibliothèque dédiée à la sexualité. Comme j’étais une enfant curieuse et que j’aimais lire, je me suis plongée dans les magazines pornographiques, les revues médicales, les catalogues d’artistes fétichistes ou les romans érotiques depuis aussi longtemps que je m’en rappelle. Personne ne m’a jamais empêchée d’avoir accès à ces informations-là. J’ai donc grandie avec l’idée que toutes ces pratiques faisaient partie d’une vie normale d’adulte, et que, quand j’aurai une sexualité, ça me viendrait naturellement. Je pense que c’est la raison pour laquelle je peux traiter de zoophilie avec respect, ou de pédophilie avec compassion : je n’ai absolument aucun tabou – je comprends qu’on ait des points de vue esthétiques ou moraux ou intellectuels (encore heureux), mais je suis incapable d’être choquée. J’ai une attitude très « plate » par rapport à ce qu’on peut me confier. Ma réponse est la même qu’on parle de missionnaire ou de SM hard: « Ah ? »
Vous parlez de sexe, mais aussi de relations amoureuses, de rapport homme-femme, pourquoi cette ouverture ?
Parce que je vis ici et maintenant, et que le sexe est politique – plus que jamais. Parler de sexualité uniquement par l’angle des organes, des nerfs et des émotions, des fantasmes et des plaisirs, serait un contresens complet. Je ne suis pas scientifique mais j’imagine qu’il vaut mieux connaître les maths avant de se lancer dans des études de physique. Même chose pour la sexualité : les facteurs économiques, politiques, métaphysiques, religieux, artistiques… sont trop présents dans nos pratiques pour qu’on puisse s’occuper du corps sans s’occuper du cerveau et de la société.
Sexe et amour sont-ils compatibles en définitive ? N’est-on pas condamné à se lasser ?
Je suis une optimiste. Je ne sais pas si j’ai raison de l’être, mais je crois en l’effet placebo ! Les penseurs et les chercheurs ont des avis assez divergents sur la question. A mon avis, le problème n’est pas de se lasser d’une personne, mais d’une seule sexualité avec cette personne. Mettons les pieds dans le plat : la plupart des gens que je connais font toujours les mêmes trucs. Personnellement, je me suis convertie à la monogamie quand je me suis aperçue que les premières nuits se ressemblent toutes (j’étais en train de mourir d’ennui). Mon mantra c’est : plutôt faire mille choses avec une seule personne, qu’une seule chose avec mille personnes. Je m’y tiens et ça roule. Mais bon, c’est facile à dire quand on est en bonne santé, sans enfants, et payée pour ses expérimentations…
Pensez-vous que la culture dans laquelle on grandit, ou dans laquelle on évolue, a une influence sur notre sexualité ?
Oui et non. Je ne suis pas partisane de la théorie qui veut que tout se joue avant cinq ans et qu’on trimbalera nos schémas enfantins toute notre existence : il me semble que la liberté est un art difficile mais pas impossible. C’est la base du féminisme universaliste : tout ce qui a été construit peut être déconstruit. En plus, comme enfant, on a cette merveilleuse aptitude à comprendre de travers ou de manière incomplète. Comme je le disais plus haut, j’ai grandi entourée d’une énorme masse d’information sur la sexualité. Est-ce que ça a eu une influence sur mes pratiques ? J’en doute. Sur mon travail, oui. Mais pas sur mes pratiques, ou de manière périphérique.
Comment découvrez-vous les nouvelles tendances en matière de sexualité?
Je dévore la presse, notamment américaine, je fais beaucoup de recherches sur les sextoys (ma grande spécialité), je clique de liens en liens comme une longue errance… et idéalement je parle aux gens. C’est lors des conversations les plus banales que j’ai mes meilleures idées. Par chance, les inconnus me racontent leur vie sexuelle à tout bout de champ, même quand ils ignorent ce que je fais comme métier.
Que pensez-vous du Tag parfait ?
J’aime bien le concept mais je n’ai jamais lu le site parce qu’en règle générale, la pornographie m’endort. Cela dit, c’est chouette que quelqu’un l’analyse.
Pour vous, le porno véhicule-t-il une image sexiste de la femme ? Ou échappe-t-il à ce type de considération dans la mesure où il relève du domaine du fantasme ?
Il y a du bon et du mauvais porno, donc on ne peut pas répondre, et effectivement ça relève du fantasme autant qu’un film-catastrophe avec des zombies. Je suis beaucoup plus choquée par le sexisme quand je vais voir des comédies romantiques hollywoodiennes. La pornographie mainstream est tellement exagérée, tellement outrancière, que je ne m’en inquiète pas – c’est comme une dame-pipi excentrique qui garderait nos secrets. Je ne me fais aucun souci pour les ados : je ne pense pas qu’ils s’y laissent prendre.
L’arrivée de Youporn a-t-elle changé notre rapport au porno ?
Forcément. Ne pas avoir à se cacher, ne pas avoir à affronter le regard du vendeur au vidéoclub, ça change tout. Tant mieux d’ailleurs : notre désir relève de la vie privée.
Avec Internet, le porno n’est-il pas devenu trop présent dans nos environnements quotidiens ?
Je ne crois pas. Si je prends mon exemple personnel, même en écrivant quotidiennement sur le sexe, je ne « tombe » jamais sur du porno. On est plutôt dans la panique quand on commence à répandre l’idée que le porno est partout. Il est facile d’accès, d’accord, mais il faut quand même le chercher. J’ai même l’impression, pour aller un peu plus loin, que le porno est une phase de la construction sexuelle. On en a besoin à un moment, ne serait-ce que pour savoir de quoi il retourne, et quand on a fait le tour de « son » porno (puisque cet univers est immense), on lâche les pixels pour retourner au réel. Evidemment, ça ne vaut pas pour les vrais fanatiques qui peuvent embrasser de multiples pornographies – mais on est là parmi les gourmets, les connaisseurs. Je ne suis pas convaincue par les histoires de compulsion et d’addiction.
Existe-t-il encore des tabous en matière de sexualité ?
Bien sûr. Allez donc parler de zoophilie, de pédophilie ! Et moins extrême : avec les avancées du féminisme, dont je ne compte pas me plaindre une seule seconde, allez admettre que vous avez des fantasmes de viol ou de prostitution… En ce moment, on a une grosse poussée sur l’idée de consentement. Si on regarde ce qui se passe au Royaume-Uni, peut-être bientôt en Australie, on constate une criminalisation des fantasmes BDSM. C’est absurde. Idem quand on passe une loi interdisant les œuvres représentant du sexe entre un enfant et un adulte – je pense aux mangas dédiés. Il n’y a pas d’enfant impliqué. Du tout. On nie complètement l’effet de catharsis, et à mon avis, c’est quand on veut contrôler les fantasmes qu’on fait prendre un risque réel à la société.
Ne pensez-vous pas qu’à force d’être traitée dans des médias généralistes, la sexualité perd de son mystère ?
Absolument pas. Déjà parce qu’on en parle n’importe comment (je ne me place pas au-dessus des autres d’ailleurs, je suis sûre que je raconte mon lot de bêtises, mais au moins j’essaie). Ensuite parce que le discours public ne remplace pas la peau, aucunement. C’est comme si on disait que le tourisme allait s’écrouler à cause de Google StreetView.
La pratique sexuelle, régulière et « bien réalisée », ne serait-elle pas devenue une injonction de la société ? On a parfois l’impression qu’il faut à tout prix aimer le sexe, et y exceller…
J’en suis certaine, et on me le rappelle fréquemment. C’est un peu compliqué dans ma situation particulière : j’estime être la trentenaire typique et sans problème. Mais les gens ont des problèmes. Justement, ils n’aiment pas forcément le sexe. Ils ont peut-être des soucis médicaux ou psychologiques, et je dis ça sans jugement aucun. Je sais que je suis moi-même responsable d’une partie de ces injonctions, alors que la sexualité peut être une vraie corvée. Mais je sais aussi qu’il y a des tonnes d’autres personnes qui font contrepoids en râlant contre ces injonctions. Mon travail n’a pas de sens sans leur présence. Aux lecteurs de chercher quel profil de chroniqueur/se leur convient. L’alternative existe. Moi, je suis heureuse sexuellement. Ce serait absurde de prétendre partir d’un point de vue contraire.
Quelle est la pratique sexuelle qui vous a le plus étonnée ?
Il y en a tellement ! La première qui me vient à l’esprit, c’est le figging, qui consiste à peler une racine de gingembre pour l’introduire dans l’anus ou le vagin de son partenaire. Plus on se contracte, plus ça pique. C’est le genre d’anecdote qui m’enchante : j’y vois la créativité humaine dans ce qu’elle a de dérisoire et de grandiose.
Que pensez-vous de Cinquante nuances de Grey ?
J’ai lu le premier bouquin de la trilogie, je me suis épargnée les deux autres et le film. Le style rebute tellement, et puis ces orgasmes surnaturels en s’effleurant le coude… Le succès d’une recette aussi basique me laisse perplexe, surtout que la littérature érotique a quand même mieux à offrir, mais il y a forcément une force de résonance quelque part – le chevalier, le sauveur, l’homme qui annule la responsabilité féminine dans le plaisir en décidant des moindres détails… J’espère que c’est un premier pas vers autre chose, parce que je suis optimiste (décidément), mais en vrai, ça me semble surtout profondément réactionnaire. J’imagine que ça fait partie de l’effet de balancier naturel de la société : donnez aux femmes plus de pouvoir, notamment sexuel, et certaines ne sauront pas quoi en faire et se presseront de le rendre aux hommes. Peut-être ce succès était-il prévisible, mais comme signe du fait que la communauté bouge en fait dans l’autre sens – vers plus de consentement.
Vous mettez-vous des limites ? vous interdisez-vous des sujets ?
Ha. C’est la question qui tue. Je me pose très peu de limites, mais je sais que certains sujets sont inabordables (si vous pensez à la pédophilie, vous êtes loin du compte). Les interdits étant ce qu’ils sont, me voici donc incapable de vous dire de quoi il s’agit, sous peine de me tirer une super balle dans le pied. Il reste des territoires impensables. Quand on fait mon métier, ça constitue une énorme frustration. Donc je pense dans mon coin. Et puis finalement, pourquoi pas. Il faut des impensés, puisqu’il paraît que l’érotisme repose sur la part d’ombre…
Propos recueillis par Carole Boinet
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