Circulant à travers les objets et figures clés de la culture gay des années 50 à nos jours, Maxime Donzel cartographie gaiement la présence des homosexuels dans la pop culture.
« L’art d’être gai”, comme l’analyse dans son dernier essai du même titre le spécialiste américain des queer studies David Halperin, renvoie autant à des pratiques culturelles qu’à des pratiques sexuelles. S’il repose sur quelques points de fixation intemporels, le rapport qu’entretiennent les homosexuels aux objets culturels a pourtant évolué au fil du temps.
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Explorant, dans son enflammé documentaire en deux parties Tellement gay !, cette trajectoire historique, du début des années 50 jusqu’à nos jours, Maxime Donzel cartographie la manière dont la pop culture n’a cessé d’abriter, en creux ou à ciel ouvert, les codes et les affects propres aux homos.
Un avant et un après-Stonewall
Dans ce paysage foisonnant et fragmenté, le journaliste averti prélève les points les plus saillants et les plus secrets de ces affinités électriques. Le point de bascule qui sépare le premier volet (Inside) du second (Out) s’incarne dans un moment clé : les émeutes de Stonewall en juin 1969 à New York (des manifestations contre un raid de la police dans un bar gay de Greenwich Village), qui marquèrent le début de la volonté du mouvement gay de sortir du placard et d’assumer son identité dans l’espace public.
Avant Stonewall, l’homosexualité se dilue dans l’idéologie conservatrice d’une Amérique obsédée par la pénalisation des homos et l’éloge de la famille traditionnelle. Cette censure morale, idéologique et juridique n’entrave pas pour autant l’expression discrète, en contrebande, d’une culture homosexuelle propre, comme l’illustre Physique Pictorial, qui se présente comme une revue pour photographes amateurs mais qui publie les dessins affriolants de Tom of Finland sur des moustachus musclés en cuir et à moto. Les livres de Jean Genet, Truman Capote ou Gore Vidal mettent en scène des personnages homosexuels, et soulignent combien leur identité procède souvent d’une stigmatisation. Maxime Donzel rappelle, comme l’avait déjà suggéré le documentaire The Celluloid Closet, que le cinéma joue avec le sous-texte et les sous-entendus, de Rebecca (Alfred Hitchcock) à Ben-Hur (William Wyler).
Objets fétiches et individus clés
A partir du début des années 70, insiste le second volet (Out), la porte du placard enfin ouverte inaugure le temps d’une nouvelle scène : celui où l’homosexualité s’assume telle qu’elle est dans les films, séries, chansons… Nourri de nombreux témoignages (les cinéastes Céline Sciamma et Rosa von Praunheim, les journalistes Didier Lestrade et Christophe Martet…), Tellement gay ! exhume une grande part des objets fétiches et individus clés de la culture gay, marquée aussi à partir des années 80 par les ravages du sida.
De Liberace à Village People, d’Harvey Milk, martyr de la cause gay à San Francisco dans les années 70, au film de William Friedkin La Chasse, de Jimmy Somerville et Bronski Beat (Smalltown Boy, tube planétaire qui raconte le départ d’un gay de province pour la grande ville) à la house et la culture de club, du fétichisme cuir à la série The L Word, de l’animatrice télé Ellen DeGeneres au poignant coming-out en 2014 de l’actrice Ellen Page, Maxime Donzel circule parmi les mouvements et les figures vénérées dans lesquels se sont reflétées sensiblement plusieurs générations tellement gay. Céline Sciamma souligne qu’il “n’y a que les icônes gay qui soient aimées toute leur vie”.
Hypervisibilité de la culture gay vs homophobie persistente
La subjectivité de ces générations de spectateurs fut et sera toujours façonnée, selon David Halperin, “par le besoin fondamental de détourner la culture hétéronormative, de la rendre queer”. L’hypervisibilité de la culture gay se frotte pourtant à l’homophobie persistante et à la difficulté pour les jeunes d’assumer leur préférence sexuelle, comme l’illustre la chaîne de vidéos en ligne It Gets Better créée par Dan Savage en 2010 à la suite du suicide d’un adolescent.
Bien que largement ouvert, le placard reste aujourd’hui encombré par un tropisme culturel et politique dominant dont Tellement gay ! rappelle combien, dans la prolifération des œuvres artistiques et des luttes politiques, il s’est progressivement délité sans pour autant pleinement s’effacer.
Tellement gay ! – Homosexualité et pop culture documentaire en deux parties de Maxime Donzel. Samedis 27 juin et 4 juillet, 22 h 15, Arte
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