Le ministre de l’Intérieur Gérard Collomb a annoncé la mise en place d’une « police de sécurité du quotidien » d’ici la fin de l’année. Mais à quelles conditions cette nouvelle police de proximité dépassera-t-elle le stade symbolique ?
Le sujet est tellement inflammable que Gérard Collomb a dû lui trouver un nouvel avatar sémantique. Ce 15 août dans Le Figaro, le ministre de l’Intérieur a annoncé la mise en place d’une « police de sécurité du quotidien » d’ici la fin de l’année. Les mots ont changé, mais pas la chose : c’est bien d’une nouvelle police de proximité qu’il s’agit. Objectif, énoncé dans le programme d’Emmanuel Macron : « Construire avec les élus de terrain, avec la population et l’ensemble des acteurs les solutions de sécurité ».
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Mise en place par Lionel Jospin en 1998, la police de proximité avait été supprimée par Nicolas Sarkozy en 2003. L’ancien président de la République, alors ministre de l’Intérieur, avait scellé son destin d’une phrase qui avait marqué les esprits, en s’adressant aux policiers : « Vous n’êtes pas des travailleurs sociaux. Organiser des matchs de rugby pour les jeunes du quartier c’est bien, mais ce n’est pas la mission première de la police ».
Pour une partie de la droite aujourd’hui, ce dispositif est donc marqué au fer rouge : « C’est la réussite symbolique de Nicolas Sarkozy : il a insinué dans l’opinion, et dans les têtes des policiers, l’équation selon laquelle : ‘police de proximité = police des faibles = police des gentils = police inefficace’. D’où le besoin de Gérard Collomb de trouver une alternative dans le vocabulaire », explique Jacques de Maillard, professeur de science politique à l’Université de Versailles-Saint-Quentin, co-auteur en 2015 de Sociologie de la police. De fait, le député LR Eric Ciotti est déjà vent debout contre cette réforme, qu’il considère comme « une vieille lubie de la gauche », et le député FN Sébastien Chenu a demandé au gouvernement « des explications » à ce propos.
« Une demande de meilleure relation au quotidien avec la population »
Alors que le ministre n’a précisé ni le budget ni les effectifs qui seront alloués à ce dispositif, qui fait partie des engagements d’Emmanuel Macron, sa mise en pratique d’ici fin 2017 est-elle vraiment crédible ? Tout dépendra d’abord de sa réception chez les policiers. Par le passé, les réticences des syndicats ont entravé sa réalisation : « Quand la police de proximité a été lancée en 97 et mis en place en 99, la hiérarchie des syndicats a été profondément hostile à cette idée, parce qu’ils préféraient rendre des comptes à l’Etat plutôt qu’à des habitants ou des maires dont ils ne savaient pas quelle serait sa couleur politique, et que cela entraînait selon eux une confusion des rôles. Ils n’ont donc rien fait pour que cette réforme se mette bien en place », relate Sophie Body-Gendrot, chercheuse au CNRS, auteure de Police et discriminations raciales : le tabou français.
Aujourd’hui, certaines prises de position parmi les policiers vont dans le sens de sa mise en œuvre. L’ancien directeur de la police nationale, Patrice Bergougnoux, a ainsi déclaré que l’établissement d’une police de proximité était « indispensable pour renforcer le lien de confiance entre la police et la population ». De même, un officier de police s’est prononcé pour « la nécessité du rapprochement police-population » sur le blog du chercheur Laurent Mucchielli en mars dernier. Si le syndicat Alliance se dit encore très réservé sur cette annonce, d’autres signes semblent indiquer que les policiers de base y seraient favorables.
« Les policiers ont ces derniers mois exprimé un malaise lié à leurs conditions de travail, au sentiment de ne pas être aimés de la population, de ne pas être compris par les médias, la justice, et leur hiérarchie. Mais dans ce malaise, il y a aussi la demande d’une meilleure relation au quotidien avec la population, d’une relation pacifiée, apaisée, analyse Jacques de Maillard. Les policiers expriment à la fois une demande de protection, mais aussi d’être mieux compris et de pouvoir travailler plus facilement. C’est ambivalent, mais des signes montrent qu’ils ne sont pas satisfaits de la façon dont la relation police-population fonctionne aujourd’hui. »
L’affaire Théo : « un catalyseur »
Côté citoyens, le rétablissement de la police de proximité semble faire consensus. D’après l’institut de sondages Harris interactive, 93% des Français seraient ainsi favorables à son rétablissement. Plusieurs candidats à la présidentielle avaient senti le vent tourner. Pendant la campagne de 2017, Emmanuel Macron, Jean-Luc Mélenchon et Benoît Hamon s’y étaient ainsi engagés. Le retentissement de l’affaire Théo n’y est pas pour rien. « Cette affaire a montré que ce n’était pas un problème individuel, mais que le modèle de police français de manière générale – basé sur l’intervention, avec des unités offensives avant tout – était mis en cause. Ça a été un catalyseur », convient Jacques de Maillard.
De plus, les enquêtes d’opinion sur la police montrent que certaines pratiques policières en France recueillent des avis contrastés, qui plaident pour un rapprochement avec les populations. Aux questions : « La police est-elle équitable ? » et « Fait-elle un usage proportionné de la force ? », on observe « un écart très important entre des zones HLM de Seine-Saint-Denis et le reste de la France », constate le sociologue. Même au niveau européen, la France accuse à cet égard un retard non négligeable.
« En Europe, sur ce sujet, la police française a très mauvaise réputation. En Angleterre, la police fait son travail avec le consentement des habitants, avec l’idée de coproduction de la sécurité. Il n’en est pas question en France, où il est hors de question de voir dans les habitants des conseillers, des aides », remarque Sophie Body-Gendrot.
« Tout dépend de la façon dont la réforme sera conduite »
Il y aurait pourtant des raisons de soutenir ce dispositif, qui d’après les études change la perception de l’action de la police, améliore la satisfaction des policiers au travail, ainsi que le sentiment de sécurité de la population. Mais pour y parvenir, un long chemin reste encore à parcourir pour le gouvernement. « Tout dépend de la façon dont la réforme sera conduite, avance Jacques de Maillard. Créer des unités spéciales sera insuffisant si on ne demande pas aux policiers de travailler autrement. Il faut définir au plus haut niveau une philosophie d’action dans laquelle les policiers se reconnaissent, et y allouer les moyens humains et financiers nécessaires ». Sans quoi, passé l’effet d’annonce, la police de proximité pourrait ne rester qu’à l’état de gadget.
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