Depuis dimanche, la fiche Wikipédia de Dominique Strauss-Kahn a été modifiée plus de 700 fois. Le scandale dans lequel est enferré l’ancien directeur du FMI suscite l’hystérie des utilisateurs de l’encyclopédie collaborative en ligne.
D’abord quelques statistiques, pour bien cerner l’impact de l’actualité sur le contenu erratique de Wikipédia. La page française de Dominique Strauss-Kahn a été créée le 19 février 2003, soit deux ans après le lancement de l’encyclopédie en ligne. Depuis lors, elle a été consultée plus d’un million de fois, modifiée 2150 fois par quelque 738 utilisateurs (sûrement davantage depuis la mise en ligne de cet article). A titre de comparaison, celle de François Hollande a été vue 36700 fois et modifiée 991 fois depuis 2003.
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Depuis dimanche, et l’interpellation à New-York de l’ancien patron du FMI pour une affaire d’agression sexuelle, sa page a été modifiée plus de 700 fois. Jamais elle n’avait été la cible d’une telle frénésie de modifications ou de vandalismes. Au regard des statistiques, la fiche de DSK n’avait jusque-là subi d’importantes retouches qu’en décembre 2006 (131 fois modifiée) et octobre 2008 (90 fois modifiée).
Deux emballements en réaction à l’actualité de l’homme politique : en décembre 2006, il venait de perdre face à Ségolène Royal les primaires socialistes pour la présidentielle de 2007 ; en octobre 2008, il était mis en cause alors qu’il était à la tête du FMI pour avoir entretenu une liaison avec une subordonnée, Piroska Nagy, ancienne responsable du département Afrique.
Qui sont les contributeurs ?
Plusieurs centaines d’utilisateurs de Wikipédia ont contribué à modifier la page de DSK depuis une semaine. Les 50 contributeurs les plus actifs sont référencés dans l’historique de la page. Qui sont-ils ? Le premier a pour pseudo « Cheep« (121 modifications au compteur). C’est un lycéen originaire de Lille, qui se présente comme sarkozyste, républicain, perfectionniste, anti-lobby, anti-complot, anti-peine de mort, ardent défenseur de la Francophonie et « du point-virgule, comme facteur d’harmonie et de beauté dans la phrase ».
Le deuxième se fait appeler « Necrid Master« (104 modifications), un ancien diplômé de l’IEP de Paris (master Affaires publiques), félicité et remercié par Wikipédia pour avoir rédigé « un article clair, organisé, objectif » sur Alain Soral, jusqu’alors « sujet à des guerres d’édition constantes« .
Le troisième est, lui, d’un autre genre. Le dénommé « Alain843« (79 modifications) s’est inscrit sur Wikipédia il y a seulement quelques jours, manifestement pour faire part de sa sagacité et rétablir la vérité sur DSK. Il brille d’ailleurs par sa réactivité : le temps moyen entre ses modifications est d’une heure et vingt-huit minutes.
Au classement des contributeurs les plus actifs sur la page de DSK, on trouve ensuite « Turb« (69 modifications), un Parisien de 28 ans, lecteur de Mauriac, dont le passe-temps « à une certaine époque était d’écrire des fiches biographiques d’hommes et de femmes politique« . En ce moment, il planche sur les pages de Dieudonné et de l’Ancien et Mystique Ordre de la Rose-Croix (AMORC). On trouve enfin, en cinquième position, « Buisson« (52 modifications), étudiant de 25 ans, jeune populaire, libéral et agnostique. Il a sa compte environ 9000 contributions à Wikipédia.
Le débat fait rage
Dans les méandres du site, les utilisateurs s’étrillent sur les pages « Discussion », destinées à trouver un consensus avant d’apporter des modifications à une page polémique. Celle de DSK est en ébullition. Doit-on évoquer l’affaire DSK dans le « RI » (résumé introductif d’un article encyclopédique) ? Doit-on lui consacrer une page exclusive, comme pour l’Affaire Woerth Bettencourt ? Comment trouver les mots justes pour en parler ? Doit-on protéger la page ? Le débat fait rage.
Une centaine de commentaires se répondent, sur un ton sec mais toujours correct, sans toutefois dégager un compromis. Une nouvelle page – « conflit d’édition suite à l’arrestation de DSK » – a été créée pour y mettre un terme. En vain. Les Wikipédiens expédient leurs avis, souvent tempérés par « Celette« , une Parisienne « de droite » issue de la Génération Y (nés entre 1980 et 1996).
Mais le sujet qui obsède la communauté des contributeurs ravive rapidement les tensions : est-ce qu’on rédige un article exclusivement consacré au scandale sexuel pour lequel doit comparaître DSK ?
« Bdc43 » s’énerve : » C’est fou le nombre de gens qui se précipitent sur Wikipédia à la moindre info croustillante, pour créer des articles ou des sections, alors que personne (y compris eux) ne sait encore quoi que ce soit de précis : pour les catastrophes naturelles, les décès, les affaires judiciaires, et j’en passe. Si le but est de recopier (le peu qu’on a sur) Le Monde, je suggère à l’intervenant potentiel de passer son chemin. Cela montre simplement la perversité qu’il y a à vouloir être « le premier à avoir parlé de ». Il y en a qui ont raté leur vocation de journaliste à sensation. »
Entre frénésie et éthique, l’encyclopédie collaborative n’a pas fini de vibrionner autour de DSK.
Vincent Barros
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