Aux Etats Unis, la question de la ségrégation raciale a ressurgi après l’assassinat de Michael Brown par un policier blanc à Ferguson. Un jeu interactif vous permet désormais de comprendre comment des préjugés racistes redessinent le paysage de certaines villes américaines.
La thématique de la ségrégation dans les villes américaines a violemment ressurgi après la mort de Michael Brown à Ferguson le 9 août dernier. Des villes en grande majorité noires finissent par se soulever parce qu’elles n’en peuvent plus d’être la cible de violences policières démesurées. Beaucoup de banlieues comme Ferguson abritaient pourtant de nombreuses populations blanches il y a quelques années. La ségrégation a ensuite redessiné ces villes brutalement, sans prévenir.
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Ferguson, ville où les Blancs fuient dès lors que des Noirs s’installent
Ferguson, la ville de Michael Brown, comptait 74 % de Blancs et 25 % de Noirs en 1990. 25 ans plus tard, 67 % des habitants sont noirs et 29 % sont blancs. Une vague de changements démographiques hallucinante. Où ont bien pu passer tous ces Blancs en si peu de temps ? Pourquoi sont-ils tous partis de Ferguson ?
L’un des facteurs principaux de ce grand départ est lié à l’arrivée massive de populations afro-américaines à Ferguson à partir des années 80. Les recensements successifs dans la ville montrent que chaque augmentation du nombre d’habitants noirs est systématiquement suivie d’une baisse importante du nombre d’habitants blancs. Ces Blancs seraient ils tous racistes au point de partir dès lors que leur voisin devient noir ?
L’impact hallucinant de petits préjugés racistes sur le reste de la société
Eh bien pas forcément. Un petit jeu conçu par Vi Hart et Nicky Case, tous deux développeurs sur le web, nous permet de comprendre avec quelques simplifications pourquoi l’arrivée d’habitants noirs finit souvent par faire partir tous les Blancs qui vivaient auparavant dans les environs. La simulation est basée sur une théorie de Thomas Schelling, éminent économiste américain, qui a démontré mathématiquement comment l’addition de petits aprioris racistes chez chacun pouvait créer une société totalement ségréguée. Et ce, sans pour autant que ces aprioris soient violents, ni radicalement tranchés.
Le jeu vous propose de prendre vous-même les manettes. Un peu comme dans Sim City, sauf que la simulation ne lui ressemble en rien. Ici, vous êtes face à un “plateau”, qui symbolise une ville. Sur ce plateau des carrés bleus et des triangles jaunes.Certains ont le sourire. D’autres non. Cela dépend en fait de leur entourage. Ils ne sont heureux que si plus d’un tiers de leurs voisins leur ressemblent. Sinon ils doivent bouger ailleurs, près de plus de formes comme eux. Votre rôle et de les déplacer, afin qu’ils aient tous le sourire.
Ce n’est pas parce que tout le monde met de côté un peu de ses aprioris que la ségrégation diminue
L’exigence d’avoir 1/3 de voisins similaires à soi même peut paraître dérisoire. 3 triangles peuvent être heureux avec 4 carrés. A comprendre comme 4 personnes noires avec 3 blanches, ou l’inverse. A première vue, la diversité est donc à priori possible si tous les habitants acceptent de vivre avec 2/3 de gens différents.
Or, au fur et à mesure du jeu on se rend compte que ces préférences minimes de chacun génèrent une ségrégation énorme. Des paquets de formes similaires apparaissent rapidement, symboles de ghettos ultra-homogènes dans la réalité.
Admettons à présent que toutes les formes sont heureuses de vivre ensemble à condition que 10% de leurs voisins soient similaires. Le résultat n’est pas beaucoup plus convainquant, et la ségrégation est toujours omniprésente. Ce n’est donc pas parce que chacun est sensiblement plus tolérant que les quartiers s’ouvrent à la diversité.
La ségrégation diminue seulement si la population rejette l’homogénéité
Alors que faudrait-il à l’échelle individuelle pour que des populations de couleur différente s’installent côte à côte ? Tout simplement que certains individus décident de déménager à la fois quand moins de 10 % de leurs voisins sont comme eux, mais aussi lorsque plus de 80 % leur ressemblent. Pour faire simple, il faudrait que les Américains se mettent aussi à refuser de vivre dans des quartiers dès lors qu’ils deviennent trop homogènes. Le résultat est frappant : Dans ce cas de figure la ségrégation s’estompe progressivement. Fini les gros blocs de formes similaires.
Cette petite modélisation n’explique qu’une partie des dynamiques de ségrégation. D’autres facteurs sont en jeu à d’autres échelles : des politiques publiques particulières, des dynamiques économiques, ou encore le choix de certaines organisations de s’implanter ou non dans certains quartiers.
Le jeu a néanmoins le mérite de montrer comment certains préjugés individuels légers peuvent redessiner une ville, et même une société toute entière. Cela s’applique aussi à la France.
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