La mort d’un jeune Américain, emprisonné par le régime de Pyongyang puis libéré dans un état de coma, relance les tensions entre les États-Unis et la Corée du Nord. Son décès n’a pourtant « pas assez de valeur » pour déclencher une guerre nucléaire.
Voler une affiche de propagande en Corée du Nord ? Un délit passible de 15 ans de travaux forcés… Otto Warmbier l’a appris à ses dépens, le 26 mars 2016. « C’est la pire erreur de ma vie », avouait alors l’étudiant américain de 21 ans, condamné par la justice nord-coréenne. Si la peine est lourde, il ne se doutait pas que, pour lui, c’était déjà la fin.
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Personne ne sait ce qu’il lui est arrivé suite à son procès. Il y a quelques jours, le 13 juin, Otto a été rapatrié chez lui, aux États-Unis, après 17 mois d’enfermement. Une victoire, pour lui et ses proches ? Pas vraiment. Sa famille a récupéré le corps de leur fils plongé dans le coma. Ni ses proches ni le gouvernement américain n’étaient au courant de son état de santé. L’information avait été gardée secrète par le régime de Kim Jong-un. Le flou qui entoure son état de santé n’a fait qu’empirer et l’étudiant est décédé lundi 19 juin, à la suite de ses lésions cérébrales. Les médecins américains sont formels : son coma s’est déclenché il y a près d’un an, peu après son procès, et le botulisme qu’invoque le régime de Pyongyang pour justifier son état n’a pas été décelé…
Le déclenchement d’une guerre nucléaire ?
Sa mort soulève beaucoup d’interrogations. La Corée du Nord est-elle responsable du coma, et donc du décès de ce ressortissant américain, comme le soupçonnent les parents du défunt ? C’est ce qui préoccupe en ce moment les États-Unis. Trois Américains sont toujours retenus derrière les barreaux du régime communiste, et le secrétaire d’État Rex Tillerson a réclamé leur libération, craignant pour leur vie.
La polémique tombe très mal, à l’heure où les relations entre les États-Unis et la Corée du Nord se sont énormément dégradées, notamment à cause de la multiplication des essais nucléaires coréens. Les tensions entre les deux États pourraient s’aggraver. Car si l’origine de son coma reste un mystère, quoi qu’il en soit, ce citoyen américain est décédé quelques jours après avoir quitté le régime de Kim Jong-un. « La mort d’Otto Warmbier va forcément entraîner des conséquences dans les relations entre les deux États », certifie Antoine Bondaz, chercheur à la Fondation pour la Recherche Stratégique (FRS) et spécialiste de la Corée du Nord.
En libérant ce ressortissant plongé dans le coma, la Corée du Nord, qui tentait d’instaurer un début de dialogue avec les États-Unis, a peut-être évité le pire : « Si le ressortissant était mort sur le territoire nord-coréen, le problème aurait été bien plus important. Ils l’ont peut-être libéré car ils savaient sa mort prochaine, et dans ce cas c’était mieux qu’il décède chez lui », suppose le spécialiste.
A-t-on évité le déclenchement de la guerre nucléaire que fait miroiter la Corée du Nord depuis des mois ? Peut-être bien. Dans son malheur, en décédant sur son territoire, Otto Warmbier ne représente pas une « raison suffisante pour déclencher une action militaire. Sa mort n’entraînera pas d’impact concret », affirme le spécialiste. Ce jeune n’est « qu’un étudiant sans profil particulier, qui n’a pas assez de ‘valeur' », déplore-t-il, en mettant les guillemets.
Le statu quo entre les mains de Trump
Sa mort n’a-t-elle servi à rien ? Pas forcément. Le destin tragique de l’étudiant donne l’occasion au président américain d’ouvrir les yeux sur son adversaire. « Obama ou Bush ont toujours eu des avis arrêtés sur la Corée du Nord, aucun dialogue n’était possible. Mais Trump, lui, n’en avait pas », souligne Antoine Bondaz. En mars dernier, le président américain a admis que la menace nord-coréenne et la géopolitique étaient plus compliquées que ce qu’il imaginait. Pour la Corée du Nord, Donald Trump représentait sa meilleure chance d’obtenir des avancées dans les négociations et leurs rapports diplomatiques.
Mais s’ils comptaient « prouver à Trump qu’il était possible de négocier avec eux », en libérant ce détenu, son décès n’aura eu que l’effet inverse, « comme un boomerang », ajoute-t-il. Désormais, les Américains « évoqueront forcément son décès dans les prochains dialogues avec le régime de Kim Jong-un. La dimension des droits de l’homme et des traitements inhumains vont aussi entrer dans les concertations », précise le chercheur.
Si la tragédie ne donnera pas le coup d’envoi de la guerre nucléaire, les conséquences pourraient être de l’ordre de la méfiance. « Trump pourrait se dire qu’ils ne sont finalement pas dignes de confiance. Il pourrait décider de retarder les négociations et adopter une démarche plus stricte envers eux », analyse Antoine Bondaz, également chercheur à Sciences Po Paris.
Pres. Trump on death of Otto Warmbier: « It’s a disgrace…if he were brought home sooner, I think the result would have been a lot different » pic.twitter.com/0LXjjDzXPC
— ABC News (@ABC) 20 juin 2017
Les relations entre les deux États, qui ne tenaient déjà qu’à un fil, sont désormais entre les mains du président américain. « Tout va dépendre de sa réaction. Il a tendance à être sanguin, et si la pression populaire est trop forte, Trump devra faire quelque chose », avance le spécialiste. Si depuis l’annonce de sa mort, il a déjà dénoncé ce régime qu’il juge « brutal », les réseaux sociaux s’enflamment et lui intiment de prendre d’urgence des mesures drastiques envers leur ennemi.
« Otto n’a été qu’un pion à des fins politiques »
Pourtant, rien n’atteste que le régime communiste a bien provoqué le coma de l’étudiant. Les médecins américains n’ont trouvé aucun signe de maltraitance sur le corps du défunt. Les causes remontent à plus d’un an, il est donc possible que les traces se soient estompées, mais le chercheur se dit en accord avec l’hypothèse des scientifiques : « Je ne pense pas qu’il ait été battu, ce n’est pas vraiment leur mode opératoire contre les condamnés politiques étrangers« , souligne Antoine Bondaz, qui penche plus pour des « défaillances dans les traitements qu’il a reçus par les services militaire ou hospitalier. »
La mort d’Otto Warmbier n’aura donc peut-être aucune répercussion, malgré la vague de réaction publique actuelle et contrairement à ce qu’elle aurait pu engendrer. Une fin tragique, mais qui est loin d’être unique d’après lui : « Les détenus américains sont toujours utilisés pour faire pression ou servir de marchandage. Il n’a été qu’un pion à des fins politiques ».
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