En pleine Fashion Week de New York, l’ancienne directrice d’agence Bethann Hardison et les mannequins Iman et Naomi Campbell lancent une fronde contre l’industrie de la mode, qu’elles accusent de racisme. Fini la langue de bois. Cette année, les critiques envers la Fashion Week et plus largement l’industrie de la mode fusent. Dans le Cosmopolitan […]
En pleine Fashion Week de New York, l’ancienne directrice d’agence Bethann Hardison et les mannequins Iman et Naomi Campbell lancent une fronde contre l’industrie de la mode, qu’elles accusent de racisme.
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Fini la langue de bois. Cette année, les critiques envers la Fashion Week et plus largement l’industrie de la mode fusent. Dans le Cosmopolitan américain, une mannequin dévoile l’envers du décor -sous couvert d’anonymat – en racontant les terribles séances de maquillage et de coiffage auxquels elle était soumise à répétition durant la Fashion Week new-yorkaise à laquelle elle a participé de 18 à 21 ans. « Les maquilleurs fixent le maquillage avec de la laque (oui, ils vaporisent de la laque pour cheveux sur votre visage). Donc en gros, ma peau ne pouvait jamais se reposer parce que tous les jours, les couches de fond de teint et de laque recommençaient. Et encore, et encore. » Quelques jours avant c’était Oscar de la Renta qui poussait un sacré coup de gueule contre la grand-messe de la mode, l’accusant de devenir un vrai « cirque« .
C’est désormais le manque de mannequins noirs et asiatiques sur les podiums qui est pointé du doigt par la Diversity Coalition, fondée par Bethann Hardison, ancienne directrice d’une agence de mannequinat connue pour son militantisme anti-raciste, et qui compte parmi ses porte-paroles Iman et Naomi Campbel. Dans une lettre adressée au Council of Fashion Designers of America (CFDA), au British Fashion Council, à la Camera Nazionale della Moda Italiana de Milan, à la Fédération Française de la Couture du Prêt-à-Porter des Couturiers et aux Créateurs de Mode, la Diversity Coalifition dresse la liste, pour chaque villes concernées (Paris, Londres, New York, Milan) des créateurs ne faisant défiler aucun mannequin de couleur lors des Fashion Weeks. Et il y en a un paquet (cinquante en tout et pour tout). A Paris, Chanel, Louis Vuitton, Lanvin, John Galliano, Carven, Maison Martin Margellia, Dries Van Noten, Dior Homme, Nina Ricci, Elie Saab (pour ne citer qu’eux) sont dans le viseur.
« Le silence n’est plus acceptable »
L’appel n’est (presque) pas resté lettre morte puisqu’un porte-parole du British Fashion Council a déclaré au Vogue britannique que même si le BFC « n’organise pas les castings de mannequins pour la Fashion Week (…) en tant qu’institution gouvernante il affirme avec fermeté que tous les créateurs participants devraient reconnaître que Londres est une des villes les plus multi-culturelles du monde et devraient penser à refléter cette donnée sur leurs défilés. » Le directeur du CFDA américain a expliqué au magazine de mode Women’s Wear Daily (WWD) avoir envoyé deux mails aux membres du CFDA encourageant la diversité. Les président de la Chambre syndicale française et de la Camera Nazionale della Moda Italiana se sont, eux, montrés moins ouverts, le premier qualifiant l’accusation de la Diversity Coalition d' »irraisonnable« , le second rappelant que les participants à la Fashion Week milanaise ont « une liberté complète » dans le choix de leurs mannequins.
Mais Hardison, Campbell et Iman n’en sont pas restées là. Toutes les trois invitées de Good Morning America, elles ont réitéré leur appel à plus de diversité, Iman assurant même qu’il y avait plus de mannequins noirs quand elle a commencé sa carrière dans les années 70 qu’aujourd’hui. « Il y a un moment où le silence n’est plus du tout acceptable. Et si la conversation ne peut se faire publiquement dans notre industrie, alors il y a fondamentalement quelque chose qui ne va pas avec l’industrie« . Début août, la mannequin déclarait au New York Times: « Nous avons un président et une première dame noirs. On avait pu penser que les choses avaient changé mais ensuite on a réalisé que non. En fait, les choses ont régressé » et envisageait un boycott des marques n’employant pas de mannequins noirs. « Si vous impliquez les réseaux sociaux, croyez-moi, ça va leur faire mal au porte-monnaie. »
La Diversity Coalition n’est pas la seule à s’être élevée contre la surreprésentation des mannequins blancs. Interrogée par le site Fashionista à ce sujet, le mannequin Jourdan Dunn déplore le manque d’amélioration du système: « Il y a une saison où les mannequins d’origine ethnique étaient représentés et ensuite c’est revenu à la même routine d’un seul ou aucun mannequin d’origine ethnique du tout. Les mannequins non-blancs semblent n’être castés que lorsque c’est hot pour une saison et alors tout le monde saute dessus. » En juillet, Dunn avait déjà fait référence au racisme inhérent à l’industrie de la mode en tweetant après avoir été refusé du défilé Dior à cause de sa trop grosse poitrine: « Normalement, on annule ma participation parce que je suis « de couleur », donc être annulée à cause de mes seins est secondaire ».
Du racisme non-conscient ?
Le sujet ne date pas d’hier. En 2008, le Vogue américain consacrait déjà un article au racisme inhérent à l’industrie de la mode en s’appuyant notamment sur les témoignages des deux jeunes mannequins noires Chanel Iman et Jourdan Dunn, qui racontaient que les gens avaient tendance à les confondre (parce qu’elles sont toutes les deux noires ?) et expliquaient se sentir souvent différentes au milieu de toutes les autres mannequins blanches lors des défilés. Le magazine interviewait également Albert Elbaz, directeur artistique de Lanvin, qui fait défiler beaucoup de mannequins de couleur sans chercher à remplir un quota. « Ce n’est pas parce qu’elle est noire que je travaille avec une fille. Je travaille avec elle parce qu’elle est belle, parce qu’elle m’inspire, parce qu’elle me donne envie de l’habiller. Donc je suis très ouvert au sujet de tout ça. » Vogue justifiait en partie le manque de mannequins noirs dans les défilés par le fait que les mannequins ne sont plus autant pris en compte qu’auparavant, au temps des « super modèles » (Claudia Schiffer, Kate Moss, Naomi Campbell, Linda Evangelista…), où le mannequin qui portrait le vêtement était aussi important que le vêtement lui-même. Un argument repris par Bethann Hardison qui déplorait que « le styliste ne [soit] plus lié aux mannequins » et déclarait « Ce n’est pas du racisme conscient. C’est une conséquence raciste« .
Interrogée par le New York Times cet été, Maida Gregori Boina, directrice de casting chez Dior et Calvin Klein (deux marques épinglées dans la lettre de Hardison) mettaient le peu d’embauche de mannequins noirs sur le dos des agences de mannequinat: « Malheureusement, on a ce qu’on trouve dans les agences. Je suis consciente de devoir faire plus, mais ça doit être un mouvement qui inclut toute l’industrie de la mode« . Un argument que Riccardo Tisci, directeur artistique de Givenchy, qualifie de « fainéantise« . « Il n’y a pas que des gens blancs dans le monde. Les gens parfois pensent « c’est plus simple [d’utiliser des mannequins blancs, ndlr], nous y sommes habitués« .
Et ça ne va a priori pas en s’arrangeant. En février dernier, le site féministe Jezebel calculait que la Fashion Week new-yorkaise automne-hiver 2013 était composée à 82,7% de mannequins blancs. Treize marques (dont Calvin Klein, Juicy Couture…) ne présentaient aucun mannequin de couleur, ce qui fait qu’environ 9% des défilés de cette Fashion Week étaient entièrement blancs, contre 6% la saison précédente.
Mentionnons pour finir ces séries mode mettant en scène des mannequins blancs peints en noir, une pratique qui rappelle celle du « black face » utilisé par des comédiens aux XIX et début du XXe siècle et consistant à se noircir le visage pour imiter les noirs….
Carole Boinet
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