Ses robes aux drapés ondoyants semblaient sculptées dans le tissu. Les créations de la couturière française Madame Grès sont exposées au musée Bourdelle.
« Je voulais être sculpteur. Pour moi c’est la même chose de travailler le tissu ou la pierre. » C’est de cette vocation contrariée – les parents de la couturière s’étaient opposés à son désir de sculpture, jugé peu digne d’une jeune fille – que sont nés son style et sa technique. Toute sa vie, Madame Grès n’aura cessé de décliner le même motif, ce drapé à l’antique si particulier qu’il finira par hériter du nom de « pli Grès ».
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A Paris, au musée Bourdelle, la première rétrospective de l’œuvre de la couturière française fait se côtoyer, en toute harmonie, les robes de vestales de la créatrice et les sculptures monumentales du maître des lieux. Une centaine de modèles couvrant la période des années 30 aux années 80 sont exposés, accompagnés d’une centaine de croquis et d’une cinquantaine de photos originales signées Man Ray, Richard Avedon ou Helmut Newton.
Méconnue du grand public, disparue dans l’anonymat le plus total en 1993, notamment après avoir dû vendre sa marque à Bernard Tapie dans les années 80, Madame Grès se voit ainsi rendre un magnifique, quoique tardif, hommage.
Née en 1903, Germaine Krebs débute sous le nom d’Alix, en 1933, et ses créations sont remarquées dès l’année suivante par la critique. En 1935, elle réalise les costumes de la pièce La guerre de Troie n’aura pas lieu de Jean Giraudoux, dévoilant déjà ses tuniques aux lignes pures et aux savants plissés. La critique salue son travail et suggère aux femmes de transposer ses modèles de la pièce à la ville.
« On reconnaît un chef-d’oeuvre de Madame Grès à sa pureté : l’apparente simplicité de son art dissimule toujours l’extrême complexité de son savoir-faire », analyse Olivier Saillard, directeur du musée Galliera et scénographe de l’exposition.
Sous la technique de maître affleure une sensualité manifeste. Décolletés vertigineux mais élégants, épaules nues, robes ajourées : le style Grès mêle pudeur et sensualité, donnant aux femmes qui portent ses créations des allures de déesses antiques. « Madame Grès offre à ses modèles plus qu’une grande féminité, une vraie sexualité », ajoute Olivier Saillard. Mais une sexualité suggérée, qui laisse libre cours à l’imagination.
En 1942, la styliste crée sa maison de couture et prend le nom de Madame Grès, quasi-anagramme du prénom de son mari, le sculpteur russe Serge Czerefkow. Ses créations se retrouvent sur le dos de Jackie Kennedy, Birkin, Arletty ou Garbo. Des toilettes idéales pour les soirées hollywoodiennes, à la palette oscillant entre taupe, émeraude, rouille, grenat, vieux rose et noir mat. En 1959, elle lance aussi son premier parfum pour femme, Cabochard, et obtiendra un égal succès près de trente ans plus tard avec Cabotine.
En 1987, les robes sont mises à la poubelles
Mais en 1984 le mythe s’effondre. Elle se voit contrainte de vendre la marque à Bernard Tapie qui la cédera à Jacques Esterel avant que les Japonais Yagi Tsusho ne s’en saisissent en 1988. Mais c’est un an plus tôt que la créatrice touche le fond : suite à près de deux ans de loyers impayés, la maison est vidée en un jour, les robes mises à la poubelle comme de vulgaires chiffons. Redevenue Germaine Krebs, elle s’éteint dans le plus grand secret à l’âge de 90 ans. Sa mort ne sera révélée qu’un an plus tard par sa fille unique Anne.
« Les gens de la profession, je les emmerde, déclarait sa fille dans un entretien au Monde en 1994. Madame Grès, c’est la Bosnie de la couture. A part Pierre Cardin et Hubert de Givenchy qui ont essayé de l’aider, ils l’ont tous lâchée. Sa mort ? Personne ne saura. Sauf les gens qui l’aiment. »
Aujourd’hui pourtant, le travail de Madame Grès est constamment cité par les créateurs. Grand collectionneur de ses robes, Azzedine Alaïa ne cache pas son enthousiasme à l’idée de prêter ses acquisitions pour l’exposition : « Je souhaite que le monde entier redécouvre cette grande dame de la mode française. Ses robes sont si modernes qu’on ne peut les dater. Elles sont éternelles. » Autre admirateur, Rick Owens dévoilait des tuniques plissées très inspirées du travail de la styliste pour sa collection printemps-été 2011. Et à la vue des modèles exposés au musée Bourdelle, difficile de ne pas penser aux Pleats Please, les fameux plissés de Miyake ou aux modèles plus démocratiques de Vanessa Bruno.
Il aura donc fallu du temps à la mode pour mesurer toute l’influence de la grande Grès – pourtant distinguée par le premier Dé d’or de la couture en 1976 – sur ses pairs : c’est enfin chose faite.
Géraldine de Margerie
Madame Grès, la couture à l’oeuvre jusqu’au 24 juillet au musée Bourdelle, 18, rue Antoine-Bourdelle, Paris XVe
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