Est-ce la fin de l’Anglomania et d’une fluidité paneuropéenne fondamentale au luxe ?
Alors qu’aucun accord n’a pour le moment été conclu entre l’Union européenne (UE) et le Royaume-Uni, l’industrie européenne de la mode développe un récit artistique tel un roman d’anticipation sur un Brexit qui laisse confus, autant sur ses conditions de commerce extérieur que sur le sort des résidents étrangers. Récit d’une mouvance artistique transfrontalière qui ingère une lutte avec un devenir politique qui demeure impossible à verbaliser.
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Bye Bye Anglomania ?
En 2006, le Metropolitan museum consacre une exposition à la mode britannique sous le titre Anglomania. Il s’agit de revisiter la période de 1976 à nos jours – soit « la plus créative et expérimentale ». Le descriptif souligne : « Le style britannique se définit par sa connaissance et conscience de sa propre histoire. (…) La tradition artistique s’appuie sur une tendance à l’historisme et au post-modernisme. » La culture juvénile et toutes formes marginalisées sujettes à la rébellion demeurent de puissants outils dans un récit de la mode britannique qui a su redéfinir les règles du jeu de la mode occidentale.
Dans les années 1990, ce sont deux élèves issus du Central Saint Martins que les doyens du luxe français vont aller chercher pour redonner vie à des maisons historiques. John Galliano restera pendant plus de dix ans chez Dior et Alexander McQueen fera ses armes dans la maison Givenchy. Leurs réputations sulfureuses les précèdent et leur valent le surnom « d’enfants terribles ». Les spectres des « Gods and Kings » (cf. le titre de leur biographie, par Dana Thomas) subjuguent, et hantent chaque défilé de fin d’années de la fameuse école, banneton de l’excentricité.
Alors, qu’en restera t-il après le Brexit, si il y a bien une sortie du Royaume-Uni de l’Union ? Il semble que l’Allemagne ait, d’ores et déjà, formulé une réponse. Le collectif berlinois Souvenir propose, depuis 2017, des hoodies bleus portant 12 étoiles au lieu de 13. Sur ce vêtement, le Brexit est déjà signifié, et c’est sur les épaules de Virgil Abloh ou Juergen Teller que le message se popularise et enflamme les réseaux sociaux. L’ironie, trait caractéristique de la Grande-Bretagne, lui échappe alors que son étoile s’estompe du drapeau de l’UE. Chez Souvenir, l’habit prend une fonction politique et vient signifier la communauté. « Nous devons rester soudés. Aucun homme n’est une île », dixit les fondateurs.
Reconfiguration du champ universitaire de la mode en France
En France, les écoles de mode s’organisent. « En attendant le verdict sur les conditions de sortie du Royaume-Uni, l’IFM (Institut français de la mode, ndlr) maintiendra un tarif européen pour tous les étudiants britanniques qui s’inscriront à la rentrée prochaine – et ce pour l’ensemble des années de la formation choisie France », affirme Alice Litscher, directrice artistique image de l’institut.
Les étudiants français hésitant quant à un départ pour Londres pourront, quant à eux, être séduits par le renouveau des programmes inspirés des traditions anglo-saxonnes. A la Sorbonne Nouvelle, un master intitulé « Médias, Genre et Cultural Studies » verra le jour à la rentrée 2019, selon Nick Rees Roberts, qui y enseignera.
De son côté, Laurence Piette, directrice de l’école Atelier Chardon-Savard, souhaite importer à Paris le caractère international et multiculturel de Londres, notamment avec l’ouverture d’une formation anglophone. « Le but est de découvrir d’autres manières de penser la mode en invitant des chercheurs anglais, explique-t-elle. Ce n’est pas le moment d’adopter le repli.«
Alice Litscher souligne également l’attention qui doit être accordée aux étudiants boursiers européens : « Le Brexit a provoqué beaucoup de départs de Londres. Ainsi, le prix des loyers augmente dans les capitales européennes qui subissent des effets de gentrification. Cela complique les conditions de vie pour les étudiants. L’IFM comporte 40% de boursiers et développe des partenariats – notamment avec l’école bénévole Casa 93. »
L’entreprise de conservation d’une éducation « à la britannique » se fait sentir dans l’hexagone et laisse deviner une anglomania des plus actuelles… mais en dehors du Royaume-Uni.
La mode survivra
A la lumière du passé, les jeunes créateurs britanniques investissent leur héritage symbolique et le transcendent. Sur le podium de l’école Parsons Paris, la collection New Britain de Thomas Lacombe devient une douce danse où les spectres de la jeunesse contre-culturelle britannique reprennent vie. « Chaque silhouette est une exploration entre fragilité et résistance dans un contexte de crise politique qui a mené au Brexit », dit-il.
Alice Litscher conclut : « Dans ce scénario apocalyptique du Brexit, la mode sera inventive : les périodes de peur ont toujours été profitables au renouvellement des techniques et des arts. »
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