Au musée des Arts décoratifs, jusqu’au 24 novembre, une exposition raconte une “histoire indiscrète de la silhouette”, à travers les “engins” (en latin mechanica) cachés mais omniprésents qui ont servi à façonner les corps, du XIVe siècle à nos jours. Régimes à outrance, chirurgie plastique, injections, fitness et autres servitudes… Jamais nos corps n’ont paru […]
Au musée des Arts décoratifs, jusqu’au 24 novembre, une exposition raconte une “histoire indiscrète de la silhouette”, à travers les “engins” (en latin mechanica) cachés mais omniprésents qui ont servi à façonner les corps, du XIVe siècle à nos jours.
Régimes à outrance, chirurgie plastique, injections, fitness et autres servitudes… Jamais nos corps n’ont paru aussi transformables, interchangeables à l’envi, jusque dans nos parties les plus intimes. Nos silhouettes semblent être résolument contraintes à se métamorphoser au grès des phénomènes de mode…
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A quand peuvent bien remonter ces métamorphoses ? L’exposition La Mécanique des dessous propose d’explorer les dessous de ces évolutions, non pas à travers la lingerie fine mais via “l’ensemble des structures dissimulées sous les vêtements dans le but de donner une forme au corps, dans les sociétés occidentales du XIVe siècle à nos jours”, décrit Denis Bruna, historien et commissaire de l’exposition. Accompagné de la scénographe Constance Guisset, ce spécialiste des représentations du corps a voulu montrer à quel point le corps, sujet culturel et social, s’est transformé à travers les âges. Manipulé, emprisonné par autant de queues d’écrevisses, pourpoints, coques, tournures, prothèses et paniers.
Braguettes king size et corps à baleines
On fait tomber les vêtements dans la pénombre de la galerie. Sur notre droite, la tromperie d’Auguste de Saxe. On l’imagine, là, érectile sous son épaisse culotte à braguette, avant que Montaigne nous avoue le subterfuge: « Fausseté, imposture ! » crie-t-il. Car au XIVe siècle, ces messieurs trichaient allègrement sur le galbe de leur sexe à l’aide de coques rembourrées et de braguettes king size alors que ces dames s’essayaient aux premiers corsets. En voilà un qui, au centre de la pièce, s’ouvre et se referme en silence, sur l’un des bustes sans tête de l’exposition : instrument à la verticalité torturée, support de la rigidité aristocratique avant d’être bientôt écrasé par les corps à baleine et leurs pièces d’estomac rarement amovibles.
« Ces ‘pressoirs à corps’ selon le naturaliste Buffon permettent aux aristocrates de se tenir droites pour affirmer leur rang et se distinguer du peuple, plus rond, plus avachi, courbé par le travail », explique le commissaire. Tout le monde y passe : même les femmes enceintes et les nourrissons. Avec plus de modestie sans doute, la « femme de la rue » affiche également la même silhouette : « des hanches gonflées, une taille serrée pour faire remonter la poitrine »…
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Que dis-je, la poitrine ? La gorge : partie haute, pigeonnante, comme une appétissante introduction au visage. “Belle taille et gorge haute !” clame-t-on d’ailleurs à l’époque. « Il s’agissait des parties nobles du corps de la femme qui reposaient au contraire sur un bas de corps que l’on voulait à tout prix cacher », confirme Denis Bruna.
Gaine tourbillon et Wonderbra
A l’époque de la Révolution, des corsages plus discrets remplacent les lests de plombs. Comme pour suggérer un élan de liberté pour ces corps assujettis aux codes de leur époque, à commencer par les diktats de l’Ancien Régime : « Nos habits sont de fer, ils sont l’invention des siècles barbares et gothiques ; Il faut que vous brisiez aussi ces fers, si vous voulez devenir libre et heureux », peut-on lire de Bernard Christophe Faust sur le fond noir d’un des murs. Ceux ensuite du début du XIXe où la femme passe de la poire au sablier : « taille étranglée, jupe évasée en bas et manches disproportionnées ». Sous le directoire, la virilité est quant à elle appréciée à la circonférence des mollets.
Interpellés par une voix de ménagère des années 1940, on fait mourir pour de bon les corsages et les arceaux : « Moins 15 francs sur la gaine 18H« . Ou choisirions-nous la gaine tourbillon ? Avant de faire un bon dans les push-up de Wonderbra qui connaît un nouveau succès dans les années 90. Denis Bruna l’a constaté : « Insister sur la poitrine et sur une taille fine sont ses schémas de silhouettes les plus récurrents ».
Encore aujourd’hui. Les dessous d’époque deviennent ainsi les sources d’inspiration inépuisables des grands couturiers contemporains jusqu’à cette robe bustier d’Alexander McQueen ou cette autre de Dolce Gabbana. Quittant la Haute, on s’autorise à rêver à des dessous trans’, grands oubliés d’expo. Denis Bruna l’évoque du bout des lèvres : “Jusqu’à présent les dessous ont plutôt servi à l’ affirmation des sexes, mais à l’avenir peut-être que cela changera…”
Marie Monier
La Mécanique des corps, jusqu’au 24 novembre au Musée des Arts décoratifs
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