“Le porno, c’est un business”. Dans son enquête “Porn Valley”, Laureen Ortiz dévoile les dessous sulfureux de l’industrie du X, entre MST, perversions, consentement et solitudes éparses. Conversation classée X.
La Cité des Anges n’a pas toujours un goût de Paradis. C’est ce que nous démontre la journaliste Laureen Ortiz en nous promenant « une saison entière dans l’industrie la plus décriée de Californie« , autrement dit la Vallée de San Fernando, ou « Porn Valley » pour les intimes. Au sein du nid de l’industrie pornographique californienne, performeurs et performeuses s’animent et (se) racontent. Par-delà le spectacle de leurs corps et à l’heure de l’hégémonie du porno gratuit en ligne, ceux et celles qui font le X détaillent leurs émois, mais aussi leurs contestations et revendications : précarité de leur situation, exigences syndicales, droit au port du préservatif durant le shooting de sexe explicite. Dans cette vallée s’entrecroisent entrepreneurs aux dents longues, femmes émancipées et âmes en perdition. Sacré road trip.
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Sans nostalgie, Laureen Ortiz délaisse les fantasmes vintage des VHS polissonnes et s’attarde sur la mécanique du porno 2.0, celui des « hubs » et des « tubes ». Cet « autre Hollywood » de l’ère Instagram puise sa rentabilité d’une efficacité de communication et de production que ne renieraient pas les winners de la Silicon Valley. Qu’elle épingle les méthodes mafieuses de l’entreprise du net MindGeek (propriétaire de PornHub et YouPorn), moguls soupçonnés de blanchiment d’argent, ou les conditions de tournage parfois éprouvantes d’actrices désœuvrées, la journaliste questionne le X comme elle le ferait de n’importe quelle autre industrie, alerte quant à ses acteurs et aux risques pernicieux de leur profession tant fantasmée. Rencontre.
Pourquoi as-tu décidé d’explorer la “Porn Valley” ?
Laureen Ortiz – C’est le Hell’s Angels de Hunter S. Thompson (le précurseur du journalisme gonzo, ndlr) qui m’a donné les clefs pour écrire ce livre. Je recherchais une même sensation de “distance proche” avec les acteurs de la Porn Valley, tout en privilégiant un type de journalisme un peu brut. Je voulais me confronter à un monde que l’on fantasme forcément, avec une vraie démarche littéraire, car j’aime quand la littérature raconte une société à travers les personnalités qui investissent ses marges.
Les pornstars sont des “Fantine” (l’un des personnages des Misérables de Victor Hugo) ou des Nana(s) zoliennes. Quand Zola écrit sur la prostitution, ce n’est pas du tout la thématique centrale de son roman. C’est pareil quand tu écris sur le porno : c’est toujours le reflet de quelque chose de plus vaste. Mais à travers cette démarche, il s’agit aussi de faire ressortir l’absurdité légère d’un monde qui peut être aussi tragique que grotesque. Je raconte par exemple la situation de Keiran Lee, un acteur qui travaille beaucoup pour les studios Brazzers : ses employeurs ont fait en sorte que son pénis soit assuré à hauteur d’un million de dollars ! C’est presque une blague.
Ton récit suit en filigrane le parcours (du combattant) des actrices Bobbi Starr et Phyllisha Anne, militant pour une amélioration des droits des travailleurs du sexe, en quête de ce qui pourrait être l’équivalent porno de la Screen Actors Guild (le syndicat des acteurs hollywoodiens). La syndicalisation des acteurs du X est-elle si complexe ?
Au sein de la Porn Valley, personne n’est effectivement là pour défendre ces acteurs. Il y a toute une complicité du consommateur à adhérer à ce système. On peut tout à fait parler d’exploitation du travailleur. Cette conscience est bien présente chez les pornstars, qui de manière générale « pensent » leur métier, lisent et intellectualisent. Et pas seulement Stoya ou Sasha Grey ! Beaucoup entretiennent un rapport cérébral à leurs pratiques. Les stars du X ne réfléchissent pas parce qu’elles ont fait de longues études, mais parce qu’elles ont eu une vie hors du commun, hors des normes, qui les poussent à questionner – parfois de façon existentielle ! – leur propre exploitation, leurs désirs et angoisses, leur cheminement de vie…
L’autre grand thème de Porn Valley est l’obligation du port du préservatif sur les tournages pornos – tu évoques le référendum de 2016 qui a eu lieu en Californie à ce sujet. On pense à la polémique suscitée par la « Mesure B » de 2012, visant précisément cela. A l’époque, certaines performeuses jugeaient cette mesure contraignante si ce n’est liberticide, bafouant le droit des acteurs à pouvoir disposer librement de leur corps (c’était par exemple le cas de Katsuni). Qu’en dis-tu ?
La liberté des uns s’arrête là où commence celle des autres. Quand on impose des normes à l’industrie alimentaire, cela dérange évidemment les gens qui y travaillent, mais c’est comme ca. Quand tu dois mettre un casque pour conduire en moto, tu le fais. Le port du préservatif est une question de bien commun, qui dépasse le cadre de l’industrie porno. C’est une question de bon sens à mes yeux. Quand on creuse les arguments contre, on sent qu’il y a surtout de grands intérêts économiques derrière cela. Mais on n’entend pas moins les voix dissonantes.
Il y a beaucoup de gens qui aimeraient que le port du préservatif soit obligatoire, mais ont peur d’être blacklistés s’ils l’expriment. La nécessité du port du préservatif est régulièrement bafouée au gré des tournages, et acceptée comme telle. Le combat pour la démocratisation du port du préservatif est celui de David contre Goliath – et on devine tous qui va l’emporter…Cela revient à se battre contre les GAFA du porno et c’est un lutte disproportionnée. La pornographie en soi est d’ailleurs un milieu plutôt inégalitaire, c’est un monde majoritairement blanc – si l’on excepte les vidéos dites interracial, qui jouent sur le fantasme de l’homme de couleur.
“Il y a beaucoup de gens qui aimeraient que le port du préservatif soit obligatoire, mais ont peur d’être blacklistés s’ils l’expriment”
Porn Valley nous rappelle que l’enfance d’actrices pornos comme Bobbi Starr ou Jessica Drake – et bien d’autres – est synonyme de stricte éducation religieuse. L’arrivée de ces jeunes femmes dans le X est-elle une réaction révoltée à ce conditionnement répressif ? Tu décris en ce sens la Porn Valley comme « la Californie des rebelles et des ennemis de la morale« …
Ces femmes entrent dans le X en réaction à toute une propagande, à une éducation liberticide, mais dans la plupart des cas, je dirais que c’est une rébellion qui émane de l’inconscient. Il n’empêche que le porno est un milieu de marginaux, où se réfugient tous ceux qui sont cabossés par la vie. On n’entre pas dans le X pour des raisons anodines. Les pornstars ont en elles une sensibilité si forte qu’il leur est impossible de se conformer au triangulaire métro-boulot-dodo. Comme le système des motards, l’industrie du porno est une culture marginale, finalement devenue mainstream. Ceux qui l’explorent et la font essaient d’échapper à une condition, à une norme, mais finissent par s’enfermer dans une nouvelle routine, celle de l’industrie.
Le porno s’esquisse en cousin éloigné d’une autre industrie justement : Hollywood. A l’instar de l’usine à rêves, le X est-il le reflet déformé de l’american dream ?
Certaines actrices que j’ai rencontrées, comme Phyllisha ou Kelly Holland, ont grandit dans une ferme au Texas. Autour d’elles, il n’y avait ni repère ni horizon. Phyllisha me raconte être partie parce qu’elle habitait « dans une ferme au milieu de nulle part, où il n’y avait rien à part un bureau de poste« . Comme ceux et celles qui partent à Hollywood, les acteurs et actrices X sont des gens manipulables, qui recherchent la reconnaissance et l’amour, mais restent hyper fragiles psychologiquement.
En ce sens, Marilyn Monroe aurait pu faire du porno ! J’écris d’ailleurs de Jessica Drake qu’elle est « la Norma Jeane dans l’ombre de Marilyn« . Dans le monde du X, on trouve beaucoup de bipolaires et de gens borderline, constamment sur le fil du rasoir, comme l’étaient Marilyn Monroe et Amy Winehouse. Des filles bercées par l’imaginaire de Los Angeles, l’illusion du succès. Qui déchantent vite. Dans le porno perdure toute une violence mentale et physique, il faut en être conscient.
Quand j’assiste aux tournages, je n’ai pas de préjugés, ça peut se passer sans problèmes, mais je vois aussi des gens qui souffrent. Comme lors des scènes de “facial abuse”, une pratique qui consiste à faire vomir l’actrice en lui enfonçant un pénis dans la gorge. A ce moment-là, l’actrice vomit vraiment ! On est loin des cascadeurs d’Hollywood, c’est réel. Les filles des productions de sexualité BDSM Kink.com (surnommé « le temple de la douleur » dans le récit) ressortent avec le dos lacéré et ensanglanté.
“Quand j’assiste aux tournages, je n’ai pas de préjugés, mais je vois des gens qui souffrent”
Tu compares certaines méthodes de tournage à ce que l’on apprend dans les écoles de commerce. Lors du « shooting » d’une séquence X, le making of se tourne en même temps, via Snapchat, la communication est directe. Crois-tu que la Porn Valley soit une Silicon Valley du X, une industrie comme une autre ?
Aujourd’hui le porno c’est “Hollywood rencontre la Silicon Valley” ! Le X est devenu un business neutre…sans en être un. Aux manettes on trouve des gens soupçonnés d’activités mafieuses, usant de la couverture d’une activité légale. C’est ce qui se passe avec les moguls de MindGeek, possesseurs de Pornhub, YouPorn…au centre on trouve une forme de capitalisme débordant, drainant des milliers et des milliers de filles, quant à savoir s’il y a une niche porno “éthique”, je ne sais pas ce que c’est… de la petite production artisanale?
Que penses-tu justement de la pornographie éthique ? N’est-ce pas un « porno à solutions » face aux débordements des productions « mainstream » ? Ne peut-on pas également vouer du sens à l’idée de « porno éducatif » comme l’entend Nina Hartley ?
Je ne suis pas une idéologue du X mais je doute que le porno soit une solution au porno. Donner son corps en pâture, c’est violent. J’ai du mal à considérer une scène de double pénétration anale dans un motel comme une forme d’émancipation. Après, le point de vue que porte les actrices sur leur industrie est complexe. Dans le porno comme ailleurs, les discours ne sont pas arrêtés. Ils évoluent.
Grandir avec les images du X n’est pas chose évidente. Quand l’on est une fille et que l’on sort de l’enfance, on se rend compte que l’on est plus l’individu neutre que l’on était. On devient une femme. Les gens nous projettent des peurs (« fais pas ci, fais pas ca, ne fais pas de stop« ) et des fantasmes. Tu commences à te questionner, puis tu vois des affiches de films pornos dans les kiosques, alors tu t’identifies et tu demandes ce que tu es censée faire de ce corps qui est le tien. En partant pour la Porn Valley, j’ai pu constater ce que j’avais deviné très jeune déjà : ces actrices victimes de violences sexuelles, qui émergent de familles recomposées, détruites physiquement ou moralement durant leur enfance.
Dans Porn Valley, tu décris la sexualité BDSM comme un “consentement à la souffrance”. Quel regard portes-tu sur la notion de consentement au sein des productions pornographiques ? Où se situe la « zone grise » d’une industrie où, écris-tu encore, « l’absence de limites ne semble gêner que les vétérans du métier » ?
Le consentement n’est pas une fin en soi. Il s’obtient. C’est le fruit d’une manipulation. C’est pour cela que beaucoup de femmes violées culpabilisent, pensent que ce qui leur est arrivé naît d’un manque de défense, d’une sorte d’acceptation de leur part, d’une insuffisance. Le truc avec la pornographie, ce que l’on ne voit jamais vraiment ce qui se passe derrière. Il y a des filles qui finissent en pleurs, sont manipulées comme des objets par des producteurs qui alignent les awards aux AVN (les Oscars du porno). Il ne faut pas se fier à la surface de l’image. C’est ce qu’illustre le cas James Deen, que je décris comme « un acteur aux traits angéliques« , et qui a fait l’objet d’accusation pour agressions sexuelles par son ex-petite amie Stoya et de nombreuses autres actrices. Il a finalement été blacklisté.
Dans mon récit j’écris que j’ai du mal à trouver glamour ces « visages enfantins couverts de sperme« . Je raconte l’histoire de Savannah, une actrice pornographique toute mignonne, au visage poupin. Son cas est ambiguë, elle se fait manipuler et en a conscience, sait que des hommes vont la valoriser et en joue, mais sans perversité.
Tu nous explique également que le porno fonctionne par échelons. Une actrice débutera plus volontiers sur un « girl on girl » (une scène lesbienne) avant de s’essayer à des pratiques plus « extrêmes » (et mieux rémunérées). Pourquoi cette « popularité » du girl on girl ? Par peur d’une certaine violence phallocratique ?
Il y a beaucoup de femmes lesbiennes dans le X. Si elles se tournent plus facilement vers le « girl on girl » pour commencer, j’imagine que c’est parce que c’est assez violent de tourner sa première scène hardcore avec un mec. Je pense qu’en général, beaucoup d’actrices sont dégoûtées des hommes, n’entretiennent pas forcément le rapport le plus sain qui soit avec eux. Qu’il n’y a pas beaucoup de « modèles » dans ce milieu, en qui se référer et avoir confiance. Où sont les mentors dans le X ? J’évoque Kelly Holland, qui n’a pas été actrice mais tient cette position de mentor.
Quand je l’interroge, l’actrice Angela White oppose la prostitution au porno. Elle dit que lorsque l’on est performeuse, l’on est pas “totalement éradiquée en tant que personne”. C’est une expression très puissante ! Il faut comprendre que lorsque tu es “pornstar” il y a justement la possibilité d’etre…une star. Tu peux en tirer un nom, donc une identité : “devenir quelqu’un”. Exister. Mais White avoue également que lorsque tu bosse dans le X, tu es à la solde des réalisateurs, producteurs et entreprises pour qui tu bosses. Des hommes, généralement.
Paradoxalement, tu converses avec les pornstars les plus « dévergondées » mais il arrive qu’elles ne soient jamais tout à fait « à nu », que leur discours reste très promotionnel, calculé…As-tu eu des rencontres “sans filtre” ?
Avec des actrices comme Angela White, on sent qu’il y a tout le côté promotionnel qui fait office de mise à distance. Le producteur/réalisateur Greg Lansky (à qui l’on doit les très populaires channels Blacked et Tushy) est dans la méga-com’, un délire totalement corporate. Dans le X, il y a des personnalités très corporate qui incarnent “l’Amérique des winners” et adoptent des discours marketing. Moi ce qui me passionne c’est à l’inverse de partir à la rencontre des “losers”, ceux dont la parole ne trompe pas. C’est le cas avec un type comme Adam par exemple, un vidéaste geek qui se fait surnommer le « Tarantino XXX » parce qu’il pastiche les films de Tarantino à la sauce porno. Aujourd’hui, il est reparti chez lui, au Colorado, et gagne sa vie en tant que chauffeur VTC…
On ressent aussi une empathie de ta part pour ces actrices, non pas pour ce qui leur arrive, mais ce qui ne leur arrive pas, leurs instants de doute. Quel regard portes tu sur ces femmes que tu dépeins comme des âmes solitaires et isolées ?
Les pornstars sont souvent des personnes qui ont tout quitté du jour au lendemain. Il y a à travers l’histoire de ces “losers” un côté Conquête de l’Ouest, ruée vers l’or ! Ils désertent famille et maison pour rejoindre la Porn Valley, sont attirés par cette possibilité d’investir une communauté soudée, la “grande famille” du X.
Cet idéal de “communauté” est trompeur mais il rassure. Mais n’importe quelle actrice sait qu’elle est un produit catégorisable, avec sa date de péremption. J’évoque Phyllisha, qui a tourné plein de films dans les années 90 mais reste relativement méconnue. Pour une Sasha Grey, combien d’inconnues là-bas ? Cette solitude correspond bien aux tonalités « noires » que l’on associe à Los Angeles, qui est le terreau des romans de James Ellroy, de Bret Easton Ellis et de Charles Bukowski.
“J’ai l’impression que dans le porno, les actrices sont toujours en train d’éviter les balles. Celles qui ne meurent pas de façon sordide mènent un combat au quotidien”
Justement, ton épilogue est digne d’un roman noir. Tu reviens sur la série de d’overdoses et de suicides d’actrices pornographiques qui a pu marquer les esprits ces derniers mois (les décès de Roxy Nicole, August Ames, Olivia Nova, Olivia Lua)…Suite à ton immersion, ces drames te surprennent-ils à ce point ?
Après tout ce temps passé dans la Porn Valley, aucune de ces fins tragiques ne m’a étonnée. Si j’avais écrit de la fiction, je n’aurais pas osé inventer de telles fins ! Je ne dis pas que le porno est infernal mais, par exemple comment une actrice comme Angela White peut-elle dire à sa mère que cette industrie n’est pas horrible quand il y autant de morts ? D’actrices poussées à bout, exploitées par des vautours, qui ne survivent que par la drogue ? J’ai l’impression que dans le porno, les actrices sont toujours en train d’éviter les balles. Celles qui ne meurent pas de façon sordide mènent un combat au quotidien. Il n’est pas du tout question de les “victimiser”, ce sont des femmes plus ou moins fortes en quête d’émancipation. Mais quand tu t’informes un peu, tu sais que n’as pas envie de croiser la route de certains mafieux du porno…
Tu évoques Bret Easton Ellis. American Psycho est traversé par les sons du groupe Genesis. Dans Porn Valley, c’est l’album “Pornography” de The Cure qui fait office de leitmotiv. Quel rapport entretiens-tu avec cette « pornographie » à la Robert Smith ?
Lorsque j’ai parcouru la Porn Valley cet été, le hasard a fait que j’avais le Pornography de The Cure sur mon téléphone. C’est une belle ironie ! C’est un album spécial. Il est sorti en 1982, l’année de ma naissance, est traversé par une ambiance cold wave, lente et lugubre, mais aussi par des sonorités rythmées qui t’embarquent. C’est un album crade, non conventionnel et anticommercial au possible, qui oscille vers l’underground, parfait à écouter en traversant les routes californiennes la nuit.
L’ambiance de Pornography semblait convenir à celle de mon récit. Je suis récemment tombé sur une interview de Robert Smith qui parle justement du carcan religieux, et de sa réponse rock n roll à tout cela. On en revient au porno ! Ce sont des gens qui font des doigts d’honneur aux conventions. Dans mon livre j’évoque le “karaoké de pornstars” qui a lieu dans le bar Sardo’s (à Burbank). Là-bas, les acteurs du X se rassemblent et écoutent…du Korn. C’est caractéristique d’un milieu qui se fiche de tout élitisme. J’écris : “La vache ! Il n’y a bien qu’à un karaoké de pornstars qu’on entend une musique pareille !”. Avec ces pornstars qui écoutent le Freak on a leash de Korn, on retrouve cette idée de rébellion ado. On est nombreux à avoir écouté du Korn, c’est ultra populaire, et pourtant qui ose l’avouer ?
Lorsque tu évoques dans Porn Valley des situations d’oppression et de jeux de pouvoirs, on pense immédiatement au scandale Stormy Daniels / Donald Trump. Comment envisages-tu toute cette affaire, encore en cours ?
On a là un politicien républicain qui méprise une ancienne porn star – le milieu du porno est plus démocrate que républicain, je ne l’ai pas particulièrement trouvé réac’ ou conservateur. Tout ce scandale nous démontre que le porno est une lutte des classes. C’est le récit d’une fille qui ne vient de rien, a grandit dans la pauvreté, a su bâtir son empire toute seule, là où Trump a grandit dans un bain de fric, avec un sentiment de supériorité constant. Cette affaire est une histoire de caste sociale, de trahison aussi. Stormy Daniels a cru que Trump allait l’aider à participer à son émission de télé réalité The Apprentice, mais finalement non.
Dans les médias, je trouve qu’on la traite avec mépris. Personne ne s’intéresse à Stormy Daniels, si ce n’est en l’évoquant par le prisme de Donald Trump, qui a fait l’objet d’une dizaine d’accusations d’agression sexuelle. L’affaire Stormy Daniels a mis au moins trois mois à arriver en France, cela prouve il y a toute une condescendance autour d’elle, de son image d’ancienne star du X. Il faut se rappeler que la pornstar Jessica Drake était au même événement (le tournoi de golf du Lake Tahoe en juin 2006) et a également témoigné pour dire que Trump s’était mal comporté, avait eu des gestes condamnables…
Porn Valley, c’est enfin l’histoire d’une journaliste qui pénètre un milieu incompris des médias. Quel regard portes-tu sur le traitement médiatique du X ?
Rester dans le milieu du porno durant un an fut une expérience assez spéciale en tant que journaliste, car cela voulait dire : sortir du système médiatique. Se mettre en marge. C’est partager ce que ressentent toutes ces actrices finalement (elle sourit). J’ai aussi écrit mon livre pour aborder des sujets qui n’intéressent pas les médias. Avec Twitter, on est plus que jamais enfermé dans la “circulation circulaire de l’information” qu’évoquait Pierre Bourdieu il y a des années. Ils ne se posent pas forcément les bonnes questions, font du porno un sujet “pop” ou alors n’y connaissent pas grand chose, ne parviennent pas à rester neutre face à l’industrie.
Au sein des médias, certains sujets sont souvent considérés comme anecdotiques, jusqu’au moment où ils deviennent importants : lorsqu’un jour, quelque chose se passe, et que le sujet s’impose. La « série » de morts d’actrices pornographiques au début de l’année pourrait être ce « quelque chose ». Mais je me dis qu’il suffirait d’un événement plus « explosif » pour que les médias commencent réellement à s’intéresser au porno.
Propos recueillis par Clément Arbrun
Porn Valley (éditions Premier Parallèle) de Laureen Ortiz, 19 euros.
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