Elle devait se présenter lundi matin devant la police judiciaire tunisienne. Ne faisant plus confiance en une justice qui a condamné le rappeur Weld El 15 à deux ans de prison ferme, elle a préféré quitter le pays. La journaliste et six autres soutiens de l’artiste avaient été arrêtés jeudi 13 juin pour avoir exprimé leur indignation à l’issue du procès de Weld El 15.
Jointe hier par téléphone, la journaliste franco-tunisienne Hind Meddeb ne voulait pas s’exprimer avant sa comparution prévue ce lundi matin. Quelques heures plus tard, elle a choisi de quitter la Tunisie et de ne pas répondre à la convocation de la police judiciaire.
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« Je n’ai plus confiance dans la Tunisie d’aujourd’hui où pour une chanson, on condamne un rappeur à deux ans de prison ferme et on relâche ceux qui ont attaqué l’ambassade des Etats-Unis au mois de septembre dernier », explique-t-elle aujourd’hui dans un texte.
A l’annonce du verdict, les soutiens du rappeur Alaa Yaacoub, alias Weld El 15, n’avaient pas pu retenir leur émotion, leur colère. Deux ans ferme. Sa faute ? Un clip, diffusé sur YouTube, et son titre rageur : « Boulicia Kleb », « les policiers sont des chiens ». Un morceau écrit pour dénoncer les brutalités policières à l’ère post Ben Ali. Le rappeur avait déjà été condamné par contumace en mars dernier. Mais après trois mois de cavale, il avait tenu à se rendre à son procès ce jeudi 13 juin. Ses proches, qui s’étaient organisés en comité de soutien, espéraient un non-lieu au nom de la liberté d’expression. La journaliste Hind Meddeb avait écrit une tribune publiée quelques jours auparavant par Libération.
« Je ne défends pas un rappeur qui insulte la police, je défends mon pays qui a le droit de disposer d’une police respectueuse de ses citoyens. En ce jour de procès, j’appelle les musiciens du monde entier à cosigner cet appel et à soutenir leur collègue Weld El 15 qui risque une peine aussi lourde qu’injuste », disait-elle.
« Je l’ai entendue crier : c’est injuste !
Le journaliste indépendant Thameur Mekki était présent le jour du procès. Joint par téléphone, il nous racontait hier. « Dès le matin, journalistes, rappeurs et amis de Weld El 15 ont été provoqués par la police. On a voulu nous empêcher d’entrer au sein du tribunal de Ben Arous, où se tenait le procès. » Après négociations, certains ont tout de même pu accéder à l’intérieur. Le juge a interrogé brièvement Weld El 15, les avocats ont font leur plaidoirie, évoquant des vices de forme ainsi que les menaces émises à l’encontre de leur client depuis la diffusion du clip. « Le juge ne s’est même pas retiré pour délibérer », témoigne Thameur Mekki. « Il n’a pas examiné les rapports, n’a pas pris la peine de regarder les dossiers préparé par les avocats. On avait le sentiment que le verdict était déjà prêt, que ce procès n’était pas équitable. » A 17 heures, le juge a annoncé la sentence : deux ans ferme. La journaliste Hind Meddeb s’est indignée bruyamment. Thameur Mekki :
« Je l’ai entendu crier c’est injuste, c’est injuste ! Un policier l’a violemment attrapée par la main et a levé l’autre de façon menaçante. Elle s’est énervée, s’est mise à hurler : maintenant je comprends mieux le sens de la chanson pour laquelle Weld el 15 vient d’être condamné. Il y avait beaucoup de brouhaha. Une avocate a crié pour qu’on la lâche et s’est fait piétiner les pieds. »
« Tu vas le rejoindre en prison »
Hind Meddeb a aussitôt été enfermée dans une cellule qui jouxtait celle de Weld El 15. Elle raconte aujourd’hui : « Les policiers qui m’ont empoignée m’ont hurlé : puisque tu soutiens le rappeur Weld el 15, tu vas le rejoindre en prison. […] Après avoir retrouvé mon calme, j’ai demandé aux policiers d’accepter mes excuses. Je leur ai dit que j’étais journaliste et que je n’aurais pas dû protester dans la salle d’audience mais que comme le rappeur Weld el 15 est un ami, j’avais été emportée par l’émotion. Ils n’ont pas accepté mes excuses. Ils m’ont dit que j’allais rester deux ans en prison avec mon ami Alaa car ma réaction dans la salle d’audience équivalait à un outrage non seulement à agent mais aussi à magistrat, ce qui est passible de deux ans de prison ferme. Ils ont ajouté que je serai confrontée au même juge qui se vengerait en me condamnant (pourtant je n’ai pas protesté devant le juge, il était déjà sorti au moment des faits). ‘Ce n’est pas parce que tu es journaliste ou française qu’on ne va pas te condamner ! Tu vas payer ton soutien à Weld el 15 ! Ce soir tu dormiras en prison !' ».
Les soutiens du rappeur ont pour leur part quitté la salle précipatemment sous la pression des policiers et ont commencé à protester devant le tribunal. « Ils se sont mis à nous pourchasser », s’indigne Thameur Mekki. « Ils ont pris leur véhicule pour aller agresser un journaliste à 500 mètres du tribunal. » Lui dit avoir été bousculé et aspergé d’un gaz irritant. « C’est comme s’ils nous avaient tendu un piège. Tous les défenseurs de Weld El 15 étaient là… Ça ressemblait à une vendetta. » Il ajoute : « Il faut savoir que ce genre de débordements n’arrive presque jamais en Tunisie, surtout depuis la Révolution. »
« Je n’ai pas confiance »
En tout sept personnes ont été arrêtées à l’issue du procès jeudi 13 juin. Elles sont restées trois heures en cellule avant d’être emmenées au commissariat pour signer un procès-verbal. Dans son texte, Hind Meddeb affirme : « Pendant une heure, ils m’ont soumise à une pression insoutenable et me répétaient : Si tu ne signes pas, tu ne sortiras pas, on te remettra en cellule. En désespoir de cause, j’ai signé un procès-verbal dont j’ignorais l’essentiel ; et en plus, ils ont refusé de m’en livrer copie. La seule chose que le commissaire m’a donnée, c’est une convocation à me présenter devant la police lundi 17 juin à 8h30 pour ensuite être conduite en fourgonnette devant le procureur. »
Elle ajoute : « Etant donné les vices de procédure et l’absence d’information sur les chefs d’inculpation qui étaient retenus contre moi, vu les dernières décisions de la justice tunisienne, indulgente avec les salafistes, féroce avec les artistes, incarcérant un rappeur pour une chanson, laissant courir ceux qui saccagent les ambassades ou qui appellent au meurtre allant jusqu’à tuer les opposants (Chokri Belaïd), j’ai décidé de ne pas me présenter à l’audience du 17 juin et de continuer à partir de Paris ma lutte pour les libertés, toutes les libertés, de la liberté d’expression à la liberté de conscience. C’est le combat nécessaire pour que nous ne retournions pas à la dictature. »
Hier déjà, Thameur Mekki se disait très inquiet : « Même si elles n’ont rien fait de contraire à la loi tunisienne, je n’ai pas confiance, on ne peut plus avoir confiance. » Sur les sept personnes interpellées et convoquées, trois d’entre elles – la journaliste Hind Meddeb et deux rappeurs – sont poursuivies pour « outrage à un fonctionnaire public dans l’exercice de ses fonctions » et « atteinte aux bonnes mœurs », des délits passibles respectivement d’un an et de six mois fermes. Le juge d’instruction n’a pas ordonné leur placement en détention provisoire et la date du procès a été fixée à octobre 2013. Aucune accusation n’a été retenue contre les quatre autre.
Sur son site, l’ONG Human Rights Watch a pris la défense du rappeur emprisonné et de ses soutiens et a dénoncé les atteintes à la liberté d’expression qui minent la Tunisie. Weld El 15 a pour sa part fait appel de sa condamnation et a entamé une grève de la faim. Une nouvelle audience devrait se tenir le mois prochain. Pour le journaliste Thameur Mekki, « il encourt de vrais risques de tortures. » Hind Meddeb conclut aujourd’hui son texte par « une supplique à la justice tunisienne » : « Rendez à la liberté le rappeur Weld El 15 ».
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