Poussé vers la sortie, le président Olivier Kaeppelin se pose en sauveur de la scène artistique française. Mais artistes et institutionnels ne sont pas tous de cet avis.
Les 9 000 m2 de sous-sols en friche du palais de Tokyo attisent depuis près de cinq ans convoitises et coups bas. Après l’OPA lancée en 2007 par le Centre Pompidou et la reprise en main par le ministère de la Culture en 2009, dernier épisode en date de cette foire d’empoigne : le départ d’Olivier Kaeppelin, missionné en 2009 pour assurer la transition vers un palais de Tokyo deuxième génération.
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En annonçant fin avril sa décision de quitter le navire (pour rejoindre la fondation d’art moderne Maeght) après avoir été, selon ses termes, « roulé dans la boue » et poussé dehors par les « apparatchiks » du ministère de la Culture, il a suscité un certain nombre de réactions très partagées, voire contradictoires, dans le milieu de l’art.
Défendu avec véhémence par certains artistes et critiques, Olivier Kaeppelin aura au moins réussi sa sortie. Au point de réaliser le tour de force de faire de sa propre personne le marqueur d’un clivage profond. Au point de faire croire qu’il était le seul garant possible d’une représentation décente de l’art français.
Car, rappelons-le, la mission que s’était assignée le nouveau palais de Tokyo consistait à offrir une chambre d’écho aux artistes français « middle career » délaissés par un Centre Pompidou à la fois surchargé et lacunaire. Promettant des expositions à la pelle, faisant jouer ses réseaux, cet ancien délégué aux Arts plastiques au sein du ministère de la Culture a rassemblé ces derniers jours autour de lui environ trois cents artistes qui s’inquiètent de voir partir leur « sauveur ».
« Si j’avais su, j’aurais dit : faites confiance à Kaeppelin, il connaît le terrain, pas seulement la moquette de vos couloirs ! », s’est exprimée avec lyrisme (et un brin de mauvaise foi ?) Catherine Millet dans les colonnes de Libération, tandis que, dans Le Monde, Harry Bellet et Philippe Dagen pratiquaient ouvertement l’intox en insistant sur le rôle d’une manifestation devant le Centre Pompidou, où six protestataires (quatre selon la police) brandissaient mardi 3 mai des pancartes réclamant la « fin du mépris artistique ».
L’équipe du palais de Tokyo, largement malmenée ces dernières semaines, signalait en revanche, dans un communiqué officiel, défendre l’idée d’un « lieu ouvert qui s’affranchit des catégories préétablies, un lieu prospectif à même de développer une réflexion sur l’art d’aujourd’hui ».
Le personnel assure n’être « ni soulagé ni accablé par les événements récents » mais confiant en l’avenir. Tandis que du côté des directeurs et directrices d’institution (musées de province, centres d’art, fonds régionaux d’art contemporain), certains relativisaient l’importance du départ de Kaeppelin et s’étonnaient de voir « seuls les esprits chagrins de la grandeur de la France se mobiliser ».
Ces événements ne doivent pas faire oublier la vocation du palais de Tokyo à assurer la représentation des « artistes français ». N’en déplaise aux « esprits chagrins », sa mission n’a en effet pas bougé depuis le départ d’Olivier Kaeppelin, et le ministère assure désormais qu’il va accélérer les procédures pour nommer un nouveau président courant juin, tandis que le nom du futur directeur artistique sera dévoilé en octobre prochain à l’occasion de la Foire internationale d’art contemporain.
De quoi relancer l’espoir de voir enfin émerger une cartographie plus complexe où pourraient s’écrire les multiples récits de la scène française, dans une configuration internationale et intergénérationnelle.
Claire Moulène et Jean-Max colard
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