En Grèce, le taux de pauvreté a augmenté de 45% depuis la crise de 2008, selon une étude de chercheurs à l’université d’Athènes. Pays pauvre en plein coeur de l’Europe, la Grèce subit une cure d’austérité, prescrite par ses créanciers. Son timide retour sur les marchés en juillet dernier est loin d’en signer la fin.
Les Grecs anciens ont inventé le mythe du tonneau des Danaïdes : des jeunes filles condamnées aux Enfers à remplir un tonneau percé. La nouvelle génération grecque semble en train de vivre un sort similaire, à rembourser une dette gigantesque, 180 % du PIB du pays. Selon le Fonds monétaire international (FMI), au-delà de 120 %, un Etat n’a aucune chance de rembourser sa dette. Il y a à peine six mois, le FMI alerte : la dette grecque est « explosive » et « totalement insoutenable« .
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« La lumière au bout du tunnel » ?
Mais en juillet dernier, Pierre Moscovici, commissaire européen chargé des Affaires économiques et financières, est tout sourire lorsqu’il aborde la situation de la Grèce. « Je me réjouis qu’il y ait enfin une lumière au bout du tunnel« , déclare-t-il sur France Inter. La raison de cet optimisme ? Le retour esquissé par la Grèce sur les marchés financiers en émettant sa première obligation à cinq ans à un taux de 4,75 %.
« Une réussite totale« , s’est targué le gouvernement grec d’Alexis Tsipras. La Grèce n’avait pas émis d’obligation depuis trois ans. Le Premier ministre grec y a vu ‘ »un tournant important pour l’achèvement du programme grec et la sortie définitive de la crise« . Alors, l’homme malade de l’Europe serait-il en rémission ?
Ce retour sur les marchés, « c’est d’abord de la communication« , assène Romaric Godin, journaliste économique à Mediapart.
« Les premiers à en profiter sont les marchés financiers. Ensuite, l’Union européenne qui peut prétendre que son troisième plan d’aide est un succès. Et enfin, le gouvernement d’Alexis Tsipras qui peut justifier sa politique. Mais c’est quelque chose de quasiment inutile. »
L’étau de l’austérité resserré
Inutile car croulant sous le poids de sa dette, la Grèce reste incapable de se refinancer toute seule sur les marchés. Jamais cette opération n’aurait été envisageable si elle n’avait pas été précédée par la réception d’un versement de 8,5 milliards d’euros, une partie d’un 3e plan d’aide accordé à la Grèce par ses créanciers, la zone euro et le FMI, en juillet 2015.
Le plan d’aide resserre l’étau de l’austérité sur les Grecs, selon Gabriel Colletis, professeur de science économique à l’université de Toulouse 1 – Capitole et ancien conseiller du gouvernement grec. « Il n’y a aucun relâchement« , pointe-t-il. Le gouvernement grec s’est engagé à dégager un excédent sur son budget primaire de 3,5 % d’ici 2029. « Il ne peut le faire autrement qu’en prolongeant la politique d’austérité, c’est-à-dire en s’engageant à continuer à baisser les dépenses publiques, en particulier dans les domaines de l’éducation et de la santé« , souligne-t-il.
L’austérité continue son démantèlement de l’Etat-providence. Entre 2009 et 2014, les dépenses de santé sont passées de 23,2 à 14,7 milliards. Trois millions de travailleurs grecs sont sans couverture sociale selon Médecins du monde. Un tiers d’entre eux vivent sous le seuil de pauvreté. Le taux du chômage du pays atteint les 25 %.
« La Grèce est un pays du tiers-monde au cœur de l’Europe« , avance Gabriel Colletis. Des collectifs européens s’organisent même pour lui apporter une aide humanitaire, à l’instar de Solidarité France-Grèce. Dans cet Etat sous-développé, aux institutions fragiles, les gouvernements grecs successifs ont échoué à endiguer la crise sociale, selon Dimitrios Katsikas, chercheur à la Fondation hellénique pour l’Europe et la politique étrangère (Eliamep).
« La majeure partie du budget de l’Etat-providence est toujours réservée aux pensions de retraite alors qu’il faudrait mieux l’équilibrer. Mais c’est un sujet trop sensible en Grèce. » La conséquence, c’est qu’alors que de nombreuses familles dépendent des retraites pour vivre, celles-ci ont diminué de 40 % depuis 2010.
Une vision à court terme qui reflète des choix idéologiques
« La logique du plan d’aide est de donner la priorité au remboursement des créanciers plutôt qu’à l’Etat social« , dénonce Romaric Godin qui préfère parler d’aide entre guillemets. Purement financière, la vision des créanciers néglige les domaines économique et social, les seuls à même de permettre à la Grèce de renouer avec une « croissance saine« . Il constate l’échec de cette logique d’austérité expansive à laquelle s’additionne une vision à court terme. Afin de toucher les aides européennes, la Grèce est contrainte de multiplier les privatisations.
En avril 2016, le port du Pirée est passé sous pavillon chinois. Un an auparavant, 14 aéroports régionaux avaient été cédés. « Le gouvernement grec a abdiqué sa souveraineté politique et est en train de brader tous ses actifs« , explique Gabriel Colletis. Selon Romaric Godin, ces ventes sont contraire aux intérêts de la Grèce et compromettent son futur.
“La Grèce a besoin de trouver de nouvelles voies de développement. Il lui faut des investissements publics comme il y a eu le plan Marshall« , plaide-t-il en dressant un parallèle entre la situation d’un pays après la Seconde Guerre mondiale et la Grèce actuelle.
La cure d’austérité est poursuivie par un gouvernement de gauche radicale. « Un crime politique« , vilipende Gabriel Colletis pour qui Syriza a contribué à décrédibiliser la mouvance en Europe. « Lorsque Syriza est élu, il n’était pas prêt à assumer le pouvoir, il n’avait pas de projet« , pointe-t-il. Résultat : « Il a accepté des mesures que même le PS et la droite n’avaient pas acceptées« . Romaric Godin l’assure, les mesures pour sauver la Grèce de la faillite sont un échec que personne ne veut assumer : « ces choix sont tellement forts sur le plan idéologique qu’on ne veut pas admettre s’être trompé, surtout pas l’Allemagne. »
Pour Romaric Godin, le sauvetage de la Grèce par la zone euro résulte avant tout d’un maquillage moral de la part de l’Union Européenne.
« Parler de solidarité est une supercherie. En réalité, on a utilisé la Grèce pour nos propres intérêts. Au début de la crise, c’est nos banques qui allaient faire faillite si la Grèce faisait défaut. Alors, on a renfloué la Grèce, donc nos banques, en faisant passer cela comme de la solidarité interne auprès de l’opinion publique. »
L’euroscepticisme gagne les Grecs
« Il existe chez les Grecs, dans une certaine mesure, le sentiment qu’Alexis Tsipras les a trahis« , avance Dimitrios Katsikas. En avril, le parti du Premier ministre, Syriza, était dépassé dans les intentions de vote par le conservateur Nouvelle Démocratie. « Les gens ne se sont pas tournés vers les partis plus radicaux mais se sont réfugiés dans l’abstention« , analyse le chercheur. Le vote obligatoire n’a pas empêché l’abstention de dépasser les 40 % lors des élections législatives de 2015.
Habitants du berceau de la civilisation européenne, les Grecs se détournent de plus en plus de l’UE, avance Dimitrios Katsikas. « Il y a énormément de déception et de ressentiment envers cette organisation. Les Grecs veulent toujours en faire partie, mais seulement parce qu’ils pensent que c’est nécessaire. On ne ressent plus d’enthousiasme. »
http://www.youtube.com/watch?v=NK3Irx4ttro
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