Ce 4 août sur Europe 1 le député Les Républicains Henri Guaino s’est inquiété de l’émergence d’ »une génération de zombies », suite à la profanation de tombes chrétiennes et Meurthe-et-Moselle. Qu’en est-il réellement ?
Est-ce un effet conjugué de la popularité de The Walking Dead et de la création de l’étiquette « catholiques zombies » par Emmanuel Todd dans son essai Qui est Charlie ? (éd. Seuil) ? Mardi, le député Les Républicains Henri Guaino a donné une nouvelle postérité aux morts-vivants. Interrogé sur Europe 1 au sujet de la profanation de tombes chrétiennes en Meurthe-et-Moselle par trois mineurs « aux motivations gothiques », il déclare:
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« Il y a un problème de rapport entre la jeunesse et le sacré […]. Si nous continuons ainsi nous allons fabriquer une génération de zombies qui sera incapable de toute vie sociale. Incapable de respecter les autres ! »
« La jeunesse n’est qu’un mot »
Le mot est lâché. Décidément, comme dirait Nadine Morano au même sujet, « tout fout le camp dans ce pays ». C’est la chienlit nouvelle génération. Mais ces représentants de la droite ne seraient-ils pas en train de nous resservir le fantasme d’une « jeunesse » décadente, déstructurée et méprisante envers les valeurs traditionnelles, en partant d’un simple fait-divers somme toute assez marginal ? La génération Y et sa petite sœur la génération Z méritent-elles d’être considérées comme des « zombies » ?
Ce n’est pas l’avis du sociologue Vincent Tiberj, chargé de recherches à Sciences Po, et auteur de plusieurs ouvrages de sociologie électorale et de sociologie des préjugés. Contacté par Les Inrocks, il tempère les ardeurs du député LR :
« On sait depuis longtemps – Bourdieu en a fait la démonstration – que la jeunesse se conjugue au pluriel : elle peut être rurale, urbaine, issue de l’immigration, etc. Il est donc sociologiquement faux d’extrapoler à toute la jeunesse à partir de ce fait-divers »
En 1978, Pierre Bourdieu affirmait en effet dans un entretien resté fameux que « la jeunesse n’est qu’un mot« .
Les « zombies » sont-ils les nouveaux « sauvageons » ?
De plus, cette manière dédaigneuse de rejeter en bloc « la jeunesse » comme si elle représentait une menace pour des valeurs séculaires n’est pas nouvelle :
« Cela renvoie à des préjugés récurrents qui pèsent sur la jeunesse, qui aurait un défaut d’intégration, continue Vincent Tiberj. Ce sont les mêmes préjugés qui pesaient dans les années 70 sur une jeunesse jugée sauvage, accusée de ne pas respecter les règles établies. Quelque part cela rappelle aussi le terme de ‘sauvageons’ utilisé par Jean-Pierre Chevènement à la fin des années 1990 pour qualifier les jeunes en difficulté »,
Les mêmes peurs, les mêmes craintes et les mêmes figures récurrentes se manifestent donc à l’égard de la jeunesse. Dans les années 70, c’était le spectre des « blousons noirs », désormais, c’est la « génération de zombies ».
« La religion est plutôt une valeur en hausse » chez les jeunes
Qu’en est-il sur le fond, sociologiquement ? La sécularisation de la société entraîne-elle nécessairement une distance des nouvelles générations vis-à-vis du sacré ? « Il est vrai que les cohortes récentes sont moins religieuses qu’auparavant, convient Vincent Tiberj. Ceux qui sont nés dans les années 1980 sont 38 % d’athées, 12 % de musulmans et 10 % de catholiques pratiquants. Il n’y a jamais eu autant d’athées ».
Cependant, des études récentes témoignent d’un regain d’intérêt pour la « spiritualité » chez les moins de 25 ans. Contactée par Les Inrocks, Myriam Levain, co-auteure avec Julia Tissier de La Génération Y par elle-même (éd. Pocket), explique ainsi que « la religion est plutôt une valeur en hausse par rapport à nos aînés soixante-huitards. C’est donc un peu un contre-sens de dire que la jeunesse ne respecte plus le sacré. »
Enfin, les trois mineurs qui ont dégradé une quarantaine de tombes à Labry (Meurthe-Moselle) étaient-ils vraiment animés par une volonté d’en découdre avec le sacré ?
« Moins un problème de rapport au sacré que de quête de repères »
« Il ne faut pas faire porter sur cet événement trop de stigmatisations », estime la sociologue Anne Muxel, directrice de recherche au CNRS et auteur notamment d’Avoir 20 ans en politique (Seuil), contactée par Les Inrocks. Le fait que ces trois mineurs aient eu « des motivations gothiques » selon le procureur, conduit à relativiser les choses :
« Il s’agit moins un problème de rapport au sacré que d’une quête de repères à travers la mythologie gothique. Sans banaliser cet événement, il convient de rappeler que les enfants des villages vont depuis longtemps dans les cimetières la nuit. La tentation de la transgression associée à ce lieu réservé aux morts n’est pas nouvelle ».
En 2011, un rapport parlementaire présenté par l’ancien député UMP Claude Bodin, affirmait ainsi que « les profanations au sens strict apparaissent très peu nombreuses ». Dans un rapport paru en 2006, la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) affirmait aussi que les auteurs de profanation sont « pour la plupart des jeunes en déshérence et en rupture avec le milieu scolaire ou professionnel ». En s’inquiétant de l’arrivée prochaine d’une « génération de zombies », Henri Guaino stigmatise donc l’ensemble de la jeunesse en la réduisant à quelques éléments perturbateurs qui ont toujours existé. « La jeunesse galère assez comme ça, pas la peine d’en rajouter », conclut Myriam Levain.
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