Pas une galerie d’art contemporain sans sa jolie réceptionniste discrètement, mais luxueusement, vêtue. Assise derrière un bureau, une silhouette noire se dessine contre un mur blanc. Nous sommes dans une galerie d’art contemporain branchée, à New York, et sa réceptionniste adore la mode mais ne veut pas se l’avouer : pas assez intello pour une […]
Pas une galerie d’art contemporain sans sa jolie réceptionniste discrètement, mais luxueusement, vêtue.
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Assise derrière un bureau, une silhouette noire se dessine contre un mur blanc. Nous sommes dans une galerie d’art contemporain branchée, à New York, et sa réceptionniste adore la mode mais ne veut pas se l’avouer : pas assez intello pour une diplômée d’histoire de l’art. Son entourage la surnomme “gallerina”, ou fashionista de galerie. Réelle hipster undercover, elle ne veut pas faire concurrence aux œuvres, ni paraître vaniteuse. Résultat, elle s’est inventé un look discrètement conceptuel, faussement austère mais vraiment luxueux. En bref, adapté au monde marchand de l’art : monochrome noir inspiration Soulages (mais signé Rick Owens), expressionisme abstrait façon Rothko (merci Céline), chevelure préraphaélite (ou Game of Thrones).
“C’est la cible numéro un des étudiants de mode et jeunes marques”, confirme le designer américain Michael Kors : cette jeune femme, souvent issue d’un milieu bourgeois et éduqué, bénéficie d’un pouvoir d’achat élevé et introduit ses vêtements auprès d’une élite souvent intouchable. Elle apporte une valeur intellectuelle quasi transcendantale à tout ce qu’elle porte par sa simple proximité avec des chefs-d’œuvre. Les tenues elles-mêmes (qui se rapprochent souvent d’un travail complexe de curating !) s’élèvent au statut d’œuvres d’art. Et nous permettent ainsi d’oublier la triste réalité de la production actuelle de confection de masse : au revoir made in China, bonjour Art Basel.
Au quotidien, notre gallerina joue les intermédiaires entre la clientèle et les pièces en vente ; elle est le faire-valoir non pas de l’art mais du galeriste, et sa présence légitimise les prix vertigineux qu’elle énonce : “Oui, ma veste et ma statue sont très très chères, totalement incompréhensibles, nous sommes donc très pointus, les gardiennes du luxe contemporain”, indique-t-elle silencieusement. Notre fashion victim qui s’ignore révèle aussi les frontières poreuses entre le milieu de l’art et de la mode : performance Versace et défilé Pucci à Art Basel, lancement de la fondation LVMH attendu avec impatience.
Ces deux univers partagent des lois d’entertainment, de culte du grandiose à peu près identiques. Résultat ? De Paris à New York, de Londres à Milan, le plus impitoyable des podiums, ce n’est pas la fashion week mais la foire d’art. A quand Anna Wintour à la Fiac ?
Alice Pfeiffer
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