Le navire des militants de la « Génération identitaire » avait pour but de « sauver l’Europe ». Après environ deux semaines de navigation, il a surtout fait parler de lui pour la mobilisation qu’il suscite. Mais cette initiative inédite est un tournant dans le militantisme européen d’extrême droite.
« Vous ne ferez pas de l’Europe votre foyer« . Le message est clair. Adressé aux migrants qui tentent de traverser la Méditerranée, il est brandi par une poignée de militants d’extrême-droite qui veulent mener « une politique non seulement réaliste, mais aussi humanitaire ».
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Bienvenue sur le C-Star, le bateau des Identitaires européens. Il a été affrété dans le cadre d’une mission intitulée « Defend Europ ». Celle-ci risque d’avorter si les ports alentours persistent à refuser son ravitaillement.
L’aventure commence le 17 mai 2017. A bord d’un canot, quatre activistes d’extrême-droite tentent de stopper l’Aquarius, emblématique navire de SOS Méditerranée et Médecins sans Frontières. Si l’opération rate, l’idée est née.
« Une guerre ethnique »
Elle s’appelle « Defend Europe« , elle est menée conjointement par les militants européens du mouvement « Génération Identitaire ». Objectifs affichés : d’une part louer un bateau afin de signaler aux gardes-côtes libyens les passeurs puis les couler afin de sauver des vies, d’autre part, surveiller les ONG que les militants d’extrême-droite soupçonnent d’être de mèche avec les passeurs.
« Ce sont des éléments de langages, décrypte Stéphane François, historien spécialiste des mouvements d’extrême-droite. La génération identitaire a une excellente communication. » Pour le chercheur, l’objectif est plus simple : « Ils sont persuadés qu’on se dirige vers une guerre ethnique. Ils veulent lutter contre cela. »
Se considérant investis d’une mission, sauver l’Europe, les identitaires décident alors de mener une levée de fonds sur la plateforme de crowdfunding PayPal. Signalée par des internautes outrés, la collecte est interrompue. Les identitaires ont néanmoins le temps de récolter plus de 70 000 euros. Ils se tournent alors vers une seconde plateforme : Wesearch, bien moins regardante. Et pour cause, elle a été fondée par l’activiste d’extrême-droite américain, Chuck Johnson. Ils reçoivent près de 200 000 euros en quelques jours, soutenus entres autres par des poids lourds du Ku Klux Klan.
Un projet inédit de l’extrême-droite européenne
Le 9 juillet, ils parviennent à louer un navire de 40 mètres battant pavillon de complaisance mongol. Le C-Star. Une poignée de militants identitaires de moins 30 ans, autrichien, allemand, italien et français montent à bord.
https://twitter.com/DefendEuropeID/status/893147541373685760
Si les milieux d’extrême-droite italien, allemand et français sont historiquement liés, cette initiative est inédite. « C’est la première fois qu’il y a une telle synergie intraeuropéenne, souligne Stéphane François. D’habitude les militants se retrouvent dans des universités d’été ou des camps politiques. Jamais milice d’extrême-droite n’a monté un projet aussi conséquent. »
Mais selon l’expert, la méthode, quant à elle, n’est pas nouvelle. « Ils se sont inspirées des écologistes radicaux, ceux de l’époque où Greenpeace allait couler des baleiniers. Sauf que là, on parle d’humains. » Une filiation qui n’a d’ailleurs pas échappée aux militants.
https://twitter.com/ArnaudDelrieux/status/895207335362265088
Après un contretemps au canal de Suez, le bateau arrive en Méditerranée le 22 juillet. Il est floqué de deux banderoles illustrant son double discours. D’un côté, « Stop Human Trafficking ». De l’autre, « Vous ne ferez pas de l’Europe votre foyer. No Way. » Référence explicite à la politique australienne qui tient les migrants à l’écart de son pays depuis 2014.
Transport illégal de migrants
Le C-Star peut donc commencer sa « mission ». Pas tout à fait. Une fois arrivé à Chypre pour se ravitailler, il est soupçonné…de transport illégal de migrants. A leur bord, une équipage tamoul dont certains membres auraient payé pour monter. Les Identitaires s’en défendent parlant « d’apprentis marins » qui devaient « valider un diplôme ». Faute de preuve, ils seront finalement relâchés.
L’équipage du C-Star dénonce alors « les mensonges des ONG », « prêtes à tout pour [les] empêcher de révéler la situation en Méditerranée ». Cette obsession pour le supposé double-jeu des ONG qui, sous couvert de secourir les naufragés, seraient en lien avec les passeurs prend sa source dans une enquête du Financial Times. Le journal révélait fin 2016 des liens troubles entre ONG et passeurs. Mais la justice italienne n’a trouvé aucune preuve tangible de ces liens.
Quoi qu’il en soit, une fois partis de Chypre, les militants d’extrême-droite annoncent sur leur compte tweeter que rien ne pourra désormais les arrêter. Ils se réjouissent de pouvoir enfin accomplir leur dessein. C’était oublier qu’en mer, il faut se ravitailler régulièrement. Très vite, les Identitaires doivent se réapprovisionner. Ils se dirigent alors vers les côtes européennes.
Mobilisation contre « les racistes »
Contre toute attente, l’accès aux ports leur est refusé. D’abord les Grecs, puis les Siciliens leur interdisent la possibilité d’accoster. C’est ensuite au tour des ports tunisiens de se mobiliser contre « les racistes« .
#zarzis in tunisia people say no to racists against the #CStar who want to enter and refuel. #DefundDefendEurope pic.twitter.com/6Mh1jsg6oB
— Giulia Bertoluzzi (@Giu_Bertoluzzi) August 6, 2017
Bloqués en mer, le C-Star en est réduit à proférer des menaces contre l’Aquarius. Le compte twitter officiel de Defend Europe, qui publie à chaque fois dans les quatre langues (anglais, allemand, français et italien), met en scène la discussion.
https://twitter.com/DefendEuropeID/status/894276797050892288
La conversation, qui s’est déroulée est enregistrée par le navire de Médecin du Monde. Les Identitaires les enjoignent de « quitter la zone », car « ils les surveillent ». Ce sera finalement le seul coup d’éclat du navire anti-migrants.
This is the radio conversation between #Cstar and #Aquarius recorded yesterday in the #SAR at 19.5 nautical miles from the Libyan coast pic.twitter.com/mKA0lMP4n2
— Paco Anselmi (@pacoanselmi) August 6, 2017
Defend Europe continue ?
Jusqu’à vendredi 11 août au matin, nombre d’observateurs se sont interrogés du silence du C-Star habituellement très loquace sur les réseaux. Après six jours d’immobilisation au large des côtes tunisiennes, le C-Star aurait lancé un SOS.
C’est en tous cas ce que soutient sur sa page Facebook le Sea-Eye, un navire spécialisé… dans le sauvetage de migrants qui explique avoir reçu un appel de détresse du « bateau de nazis », comme il l’appelle.
Mais dans la soirée de vendredi, le C-Star retrouve de la voix sur Twitter. Il se défend d’être en mauvaise passe, parlant d’un « problème technique« . Le Sea-Eye se serait en fait dérouté vers le bateau des Identitaires, avant que ce dernier ne refuse son aide et ne reparte vers les côtes libyennes.
Un tournant dans le militantisme violent
Il n’empêche, cela semble mal barré pour le C-Star qui n’a toujours pas de moyen de se ravitailler. Pour autant, Stéphane François invite à nuancer l’échec des militants, car « le projet a beaucoup fait parler d’eux ». L’historien y voit même un tournant à ne pas prendre à la légère. Selon lui, si les identitaires sont connus pour leurs actions spectaculaires relayées par une communication efficace, l’affaire du C-Star les fait passer dans une autre dimension.
« Avec Defend Europe, l’échelle change. On est dans une radicalité plus forte, pense-t-il. L’extrême-droite avait abandonné la violence de façon collective et assumée, dénonçant des écarts individuels. Ici, il y a un tournant. » Stéphane François va même plus loin, analysant dans cette action une symptôme plus profond. « Cela peut marquer le début de nouvelles formes de militantisme violent. »
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