Miren Arzalluz, directrice du Palais Galliera, le musée de la Mode de la Ville de Paris, décrypte la nature du vêtement comme élément de lisibilité de la lutte politique.
Pourquoi les sphères militantes et politiques se sont-elles approprié le vêtement comme vecteur de revendications ?
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Je crois que le vêtement est une manière très efficace d’identifier un collectif. Il est à la fois l’expression d’une idéologie individuelle, de ce que l’on pense ou ressent, mais aussi un outil très fort d’identification pour un mouvement. Par exemple, la force du gilet jaune est son caractère reconnaissable. C’est très efficace : c’est un vêtement ouvrier, fort de sens, et qui, en plus, est très visuel de par sa couleur. Si le point de départ de toute lutte politique est d’être lisible, alors le vêtement en est le vecteur idéal.
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Je suis parfois surprise de constater que beaucoup de gens considèrent encore le vêtement ou la mode comme purement pratiques ou frivoles. En réalité, au vu de sa force symbolique dans les luttes politiques et historiques, il est étonnant de ne pas prendre conscience de son rôle bien plus large.
En cela le vêtement serait un moyen d’expression des plus démocratiques ?
Démocratique et fort. C’est immédiat, visible, facile. Il peut s’agir d’un gilet ou d’un béret, pour évoquer un accessoire ayant eu plusieurs significations dans des moments politiques ou historiques. Le vêtement est aussi très “interprétable”, à travers les couleurs notamment. Chacun peut très facilement adapter les couleurs à sa garde-robe, ce qui le rend d’autant plus démocratique.
Chacun peut très facilement adapter les couleurs à sa garde-robe, ce qui rend le vêtement d’autant plus démocratique
Pourtant, paradoxalement, le vêtement a historiquement été utilisé comme un symbole de pouvoir discriminant. Y aurait-il eu un basculement ?
Pour moi, les deux sont compatibles et coexistent encore aujourd’hui. A l’époque, la séparation vestimentaire a pu venir de codes propres à la noblesse, comme les talons rouges à la cour de Louis XIV par exemple. Mais il me semble que c’était surtout une question de richesse due aux coûts des matériaux. L’époque contemporaine ne change pas en cela : il y a encore des choses impossibles à acheter pour la majorité et qui fonctionnent donc encore comme des symboles de classe ou de goût. C’est aussi ça le pouvoir du vêtement : il peut prendre un sens comme l’autre.
Il faut également faire attention : ce n’est pas parce qu’il est démocratique de pouvoir s’exprimer à travers le vêtement que le message transmis est lui aussi démocratique. Je pense par exemple aux esthétiques nazi ou skinhead. Ce furent des esthétiques fortes, simples, démocratiques en un sens. Elles ont pu prendre des définitions différentes au cours de l’histoire, mais elles n’expriment clairement pas des valeurs démocratiques.
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