L’actualité des œuvres, l’activité de ceux et celles qui les font (les artistes), leur parole, mais aussi l’expérience de ceux et celles qui les reçoivent (les spectateur·trices), toute cette circulation d’affects et de formes qu’on pourrait appeler la vie artistique n’a jamais occupé beaucoup de place sur les chaînes d’information continue (télé et radio confondues), et à peine plus dans les journaux télévisés des chaînes généralistes.
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Cette maigre place s’est encore amenuisée ces dernières semaines : comme si l’attention possible de la population globale ne pouvait plus être happée par d’autres sujets que la pandémie du coronavirus, l’évolution de ses courbes de mortalité et de nouvelles infections, ou ses conséquences sur l’économie des sociétés. La virulence du réel suffit-elle à étancher notre besoin de fiction ? L’expérience artistique peut-elle être annihilée par le besoin d’information ?
“Pour moi, l’inquiétude face au monde a toujours généré un besoin de fiction”
Autour de moi, certain·es de mes proches me disent qu’ils·elles ne peuvent plus. Que leur inquiétude est telle qu’elle a brisé tous les mécanismes psychiques qui permettent d’entrer en fiction (suspension provisoire de la crédulité, détachement de son quotidien, projection de soi sur des entités romanesques qu’on nomme personnages…).
Et j’avoue que je vois dans cette incapacité provisoire une forme de fragilité. Car, pour moi, l’inquiétude face au monde, aussi bien que le désir de le comprendre, a toujours généré un besoin de fiction plutôt qu’une quelconque défiance. Parce que, au fond, je ne crois évidemment pas que la fiction nous détourne/divertit/distrait du réel, mais plutôt qu’elle le sonde et nous donne accès à ses plus profondes ramifications.
Pour ce numéro, nous avons demandé à une cinquantaine d’artistes de nous confier une expérience esthétique forte et récente. Quelle œuvre, dans cette période violente, a pu les aider, les apaiser ou au contraire les éveiller, a su entrer en résonance avec le temps présent ou au contraire en constituer une vigoureuse contre-proposition.
“Jehnny Beth érotise son intimité par des dessins. SebastiAn traque Deleuze dans Les Minions et Bob l’Eponge”
Chacun s’arrange différemment avec cette question de la contextualité des œuvres. Gus Van Sant raconte ne pouvoir s’intéresser en ce moment qu’à des œuvres qui racontent le monde comme chaos.
Virginie Efira trompe son isolement en s’engageant dans une relation personnelle nourrie avec Cary Grant. Vanessa Springora évoque un court roman tchèque qui énonce de façon vibrante la puissance émancipatrice de la littérature. Jehnny Beth érotise son intimité par des dessins. SebastiAn traque Deleuze dans Les Minions et Bob l’Eponge. Arnaud Desplechin déchiffre la nouvelle chanson de Bob Dylan comme une lecture talmudique. Jean Rolin rejoint la mer à travers l’œuvre d’Iris Murdoch. Autant d’invitations à découvrir des œuvres particulières que le récit de la relation entretenue avec elles.
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