Pour l’anthropologue Maurice Godelier, l’homoparentalité et le mariage gay s’inscrivent dans un long processus historique.
Au lieu de s’inquiéter des dérives de la famille, Maurice Godelier les observe avec sérénité. Dans son bureau de l’Ecole des hautes études en sciences sociales, l’anthropologue dit de sa position intellectuelle qu’elle est extrêmement “cool”. Les crispations autour du mariage gay et lesbien ou de l’homoparentalité lui semblent infondées au regard de ce que son travail a révélé sur les systèmes familiaux.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
L’un de ses livres majeurs, Métamorphoses de la parenté, publié en 2004 et réédité en poche depuis, a montré l’existence de 182 systèmes de parenté différents dans le monde ! Les alliances, organisations de la descendance ou interdits sexuels se déploient selon des modes et imbrications multiples.
“La parenté traverse des métamorphoses radicales dans le monde occidental mais en Inde et en Chine aussi : les rapports de parenté évoluent partout dans le sens d’une individualisation du choix.”
Pour éclairer les conditions d’émergence de ces nouvelles revendications, Maurice Godelier insiste sur le fait que la science a légitimé l’existence de l’homosexualité. “Dans les années 60-70, les sciences nous ont révélé qu’elle était naturelle. La primatologie a démontré notre bisexualité : les bonobos et les chimpanzés sont à la fois hétérosexuels et homosexuels. La médecine a donc été obligée de déclarer que ce n’était pas une maladie ; ensuite, la psychiatrie a dû affirmer que ce n’était pas non plus une perversion.” A ce constat scientifique, Maurice Godelier ajoute un autre facteur : la valorisation de l’enfance. “A partir de Rousseau et du XVIIIe siècle, on valorise l’enfance. L’amour n’est plus au premier plan de nos sociétés : on y trouve les enfants, qui cimentent la famille. Les systèmes de parenté ne sont pas conçus pour les parents mais pour les enfants, qui sont les vrais vecteurs de la continuité.”
A partir de ces deux éléments clés, la famille moderne peut sortir du cadre nucléaire – père, mère, enfant – dans lequel les conservateurs voudraient la limiter. L’homoparentalité et le mariage gay peuvent ainsi s’inscrire naturellement dans cette évolution historique, même si Maurice Godelier reconnaît que ce modèle de parenté ne peut pas s’appliquer partout, notamment dans les nombreux pays où l’homosexualité reste inenvisageable, comme en Arabie saoudite.
“C’est un phénomène nouveau que beaucoup de psychanalystes et même d’anthropologues disciples de Lévi-Strauss ont encore du mal à intégrer dans leur système de pensée.”
Au fil du temps, le chercheur a acquis une certitude : “J’estime, contrairement à l’anthropologie dominante, que la famille et les rapports de parenté ne président pas aux fondements de la société… Qu’est-ce qui fait société ? Ce n’est pas la famille, insiste-t-il, nulle part. Je préfère mettre l’accent sur les rapports politico-religieux : ce qui fait société, c’est quelque chose qui déborde et traverse la parenté. A partir du moment où vous vous rendez compte de ça, il est logique d’en conclure que l’évolution de la famille et de la parenté ne vont pas faire s’écrouler la société.”
Tant que les hommes et les femmes ne vivront pas seulement en société mais devront “produire de la société pour vivre”, la famille restera ce chantier ouvert, à réinventer sans cesse, impossible à fossiliser comme veulent encore y croire les tenants d’un ordre moral absurde et dépassé.
Métamorphoses de la parenté (Flammarion), 940 pages, 15,30 euros.
{"type":"Banniere-Basse"}