Les médias n’exercent plus leur fonction critique… Dans leur livre, deux journalistes démontent la machine journalistique et regardent ce qui cloche.
Depuis la publication, en 1997, du livre de Serge Halimi, Les Nouveaux Chiens de garde, prolongé par d’autres analyses – La Fabrication de l’information par Florence Aubenas et Miguel Benasayag, Les Petits Soldats du journalisme par François Ruffin… –, la populaire “critique des médias” crache à l’envi sur la tombe du journalisme. Marchandisation de l’info, concentration des médias dans les mains d’industriels, suivisme… : la critique est salée et la coupe totalement pleine lorsque l’on rajoute à la liste des griefs la question du déclin économique de la presse écrite (cf. La Fin des journaux par Bernard Poulet).
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Plus qu’une faillite industrielle, ce basculement prend l’allure d’une faillite quasi morale selon deux représentants de la profession qui s’inquiètent des dérives constatées au coeur des rédactions. Journalistes respectivement à La Vie et Témoignage chrétien, Philippe Merlant et Luc Chatel (rien à voir avec le ministre) se prêtent à ce qui pourrait ressembler à un acharnement s’il ne s’agissait d’une réflexion empirique et nuancée visant à sortir les médias du gouffre.
Les auteurs posent le cadre de la critique des médias, partagé entre deux lignes distinctes : la critique politique et la critique professionnelle. Tandis que pour l’une, le mal réside dans l’asservissement de la presse à la logique financière, pour l’autre, c’est par le manque d’éthique des journalistes que le bât blesse.
Au-delà de ces deux horizons, Merlant et Chatel s’attachent à décrire l’intérieur de la machine journalistique. Convaincus qu’éclairer les conditions, souvent ingrates, de l’exercice du métier offre un biais pour mesurer l’ampleur des dégâts, ils militent pour une critique “radicale” des médias qui ne fasse pas le sacrifice de la “complexité des phénomènes décrits”. Lucides à propos des connivences idéologiques, ils n’en déplorent pas moins tout ce qui fait défaut à la qualité de l’information : réflexes mimétiques, uniformisation des papiers, dépolitisation et peopolisation de l’actualité, méfiance pour le savoir intellectuel, diktat de l’air du temps…
En cause également, l’information low cost : prime aux papiers courts, rentabilité, diminution du temps pour les enquêtes, indicateurs de productivité, précarisation… Selon les auteurs, toutes les chartes de qualité de l’information ne pourront rien contre le principe de réalité (poids du marketing, intégration des contraintes commerciales…), avec lequel les journalistes doivent composer. Contre la tendance pernicieuse, à la fois économique et politique, de fragilisation des médias, les auteurs croient avant tout à la nécessité de renforcer la critique des mécanismes du pouvoir. Leur enquête invite les journalistes à s’éloigner autant que possible des postures arrogantes, à résister au coeur même du système qui les contraint, afin de redonner aux médias leur rôle de contre-pouvoir. Après la faillite, la reprise ?
Médias, la faillite d’un contre-pouvoir de Philippe Merlant et Luc Chatel (Fayard), 300 pages, 19 €
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