Twitter, Facebook, mails et blogs : sur Internet, le Parti pirate réinvente la façon de faire campagne. Questions d’argent, mais aussi de principe.
Sa bataille des législatives, David Dufresne l’aura menée presque exclusivement sur Internet. Il n’avait de toutes façons pas d’autres choix : le journaliste, auteur de Tarnac, magasin général, habite à Montréal, au Canada, à près de 6000 km de la circonscription où il se présente comme suppléant de Pierre Mounier, le candidat du Parti pirate dans le XXe arrondissement de Paris.
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Un ordinateur, un smartphone et une bonne connexion
Il n’est pas le seul à avoir délaissé le porte-à-porte et les distributions de tracts sur les marchés. Avec comme outils principaux un ordinateur, un smartphone et une bonne connexion Internet, l’écrasante majorité des candidats du Parti pirate aux élections législatives expérimente une nouvelle manière de faire campagne : le tout-Internet.
En effet, hormis quelques coups de fils à la presse, bon nombre des « moussaillons » – comme ils aiment à se décrire – passent la campagne à écumer le Web. Messages sur Twitter, discussions sur Facebook, articles d’opinion publiés sur leurs blogs, newsletters, mails… Tout semble bon pour toucher un électorat qui commente et partage de plus en plus articles et messages vus sur le Net.
Mais il ne faut pas s’y tromper : pour cette toute jeune formation politique, qui présente 101 candidats pour sa première campagne électorale de grande envergure, mener une « e-campagne » est d’abord une question de moyens. Comme beaucoup d’autres « petits » candidats, ceux du Parti pirate ne bénéficient pas du soutien financier de leur parti et doivent assumer eux-mêmes l’impression de leurs affiches, incitant aussi leurs électeurs à imprimer chez eux le bulletin de vote « pirate » avant de se rendre aux urnes. Ne pouvant compter que sur leur énergie et leur ADSL, beaucoup se débrouillent et finissent toujours par trouver des moyens « low-cost » pour faire parler d’eux, « même si parfois, c’est un peu bordélique », confie David Dufresne.
« Vu l’équipe qu’on avait, on n’aurait pas pu toucher beaucoup de monde à travers une campagne traditionnelle. Et sur Internet, le public touché est de toutes façons beaucoup plus large », justifie Maxime Rouquet, coprésident du Parti pirate.
« Mon pays, c’est Internet »
Vu du vaisseau, arpenter l’océan Internet est surtout une question de principe. David Dufresne, qui s’informe sur les thèmes qu’il défend et en parle à distance, se défend d’avoir besoin d’être sur place, à Paris, pour faire campagne :
Mon pays, c’est Internet. La notion de frontière réhabilitée par la droite m’apparaît complètement dépassée. L’important, c’est où l’on se trouve à un moment donné et non plus où l’on habite. Et puis je trouve plus amusant d’attraper les gens sur Twitter ou sur Facebook. Les discussion y sont plus pertinentes qu’à l’étale du maraîcher !
Ça tombe bien, le World Wide Web est justement le terrain de prédilection de ces pirates de la politique. Légalisation du partage, ouverture des données publiques, transparence de la vie politique, lutte contre le fichage abusif… Autant de thèmes de campagne qui ont plus de chances de faire mouche sur le Web, où navigue un électorat sensible à ces questions. Avec plus de 20000 personnes abonnés à son compte Twitter, le Parti pirate fait mieux que le MoDem et le Front de gauche réunis, qui comptent respectivement près de 8000 et 10 000 abonnés.
Cette façon de penser Web n’est pas propre aux élections des 10 et 17 juin prochains. C’est tout le fonctionnement de ce parti inspiré de ses voisins suédois et allemand qui dépend du réseau informatique mondial. C’est là que futurs adhérents et candidats sont recrutés, et c’est aussi à l’aide de leur connexion que les membres (près de 550) assistent aux réunions organisées sur Mumble, un logiciel libre de visioconférence. « C’est grâce à tout ça qu’on peut exister » reconnaît Maxime Rouquet.
L’idée est de réinventer, par l’outil, la façon de faire de la politique et de débattre. D’où l’utilisation de logiciels de traitements de texte en ligne et collaboratifs, où chacun peut apporter sa touche. La formation politique expérimente également un logiciel libre utilisé par le Parti pirate allemand, LiquidFeedback, une sorte de plateforme en ligne permettant aux adhérents de s’exprimer sur les textes qui seront débattus aux prochaines assemblée générale du parti.
« Il y a des choses qu’on ne peut pas faire sur Internet »
Le but n’est pourtant pas d’ériger Internet en totem sacré. Ceux qui ne rejettent pas l’étiquette de « geeks » qui leur est souvent collée durant cette campagne ne veulent pas constamment s’abriter derrières les machines. Cela passe, par exemple, par la critique du vote électronique (expérimenté pour la première fois cette année auprès des Français de l’étranger). Des geeks opposés au vote par Internet ? Explications du coprésident du parti :
Certains ordinateurs ne sont pas compatibles avec la dernière mise à jour et, plus globalement le vote lui-même présente de nombreuses failles. Il y a des choses qu’on ne peut pas faire sur Internet, et le vote en fait pour l’instant partie. Cela concerne aussi notre fonctionnement, et nous continuerons à organiser des assemblées générales et à nous rencontrer physiquement.
Fondé en juin 2006, le Parti pirate français considère en effet comme une nécessité de décentraliser le parti et d’adapter sa structure à l’afflux de nouveaux adhérents. Les membres vont continuer à se rencontrer IRL (in real life, « dans la vraie vie ») et les sections régionales installées dans des locaux devraient se multiplier dans les prochaines années, à en croire Maxime Rouquet. L’avenir de ces geeks de la politique ne s’écrira donc pas forcément que sur Internet.
Article mis à jour le 04/06/2012 à 16h47 : Rectification : le Parti pirate utilise Mumble et non Skype pour ses vidéoconférences.
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