Un audit demandé par la présidente du Parlement grec tend à prouver que la dette du pays repose sur des bases illégales. Pourquoi les Grecs devraient-ils rembourser ces créances illégitimes et pourquoi Tsipras s’est-il montré si discret ?
Pourquoi les Grecs devraient-ils rembourser une dette qui repose sur des bases illégales, comme tend à le prouver un audit demandé par Zoé Konstantopoulou, présidente du Parlement grec ?
Pour éviter de plonger davantage la Grèce dans la récession, Alexis Tsipras a demandé aux dirigeants de la zone euro un effacement d’une partie de la dette. « Hors de question » pour Angela Merkel ! Pourtant, sa demande apparaît tout à fait légitime quand on sait qu’un audit de la dette a récemment déterminé qu’une bonne partie des créances de la Grèce étaient… illégales.
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Qu’est-ce qu’un audit de la dette ?
L’audit consiste à passer une dette au peigne fin pour savoir précisément comment et pourquoi elle s’est constituée : à qui a-t-on emprunté ? Pourquoi ? Quelles étaient les conditions de l’emprunt ?, etc. Le but est de mettre à jour les parts de la dette pouvant être considérées, selon des critères reconnus par le droit international, comme « illégales« , « illégitimes« , « odieuses » ou encore « insoutenables”. Un Etat peut invoquer ces critères afin de légalement et légitimement refuser de payer des créances acquises à l’encontre du droit international, européen et parfois même, de son droit national.
L’utilisation d’un tel outil est rare. Un exemple remarqué est celui de l’Equateur en 2007. Sept mois après son élection, le nouveau président, Rafael Correa, organise l’audit de la dette du pays. Les conclusions sont affligeantes pour les créanciers : des règles internationales de base ont été bafouées dans l’attribution d’un nombre important de prêts. Le pays a donc décidé de ne tout simplement plus rembourser les emprunts incriminés. 7 milliards de dollars ont ainsi pu être économisés par l’Equateur.
La vérité sur la dette publique de la Grèce
En avril 2015, la présidente du Parlement grec, Zoé Konstantopoulou, décide de lancer une commission afin de réaliser l’audit de la dette grecque, la Commission pour la Vérité sur la dette publique de la Grèce. Comme elle l’a rappelé dans une interview à Libération, le règlement 472 adopté par l’Union européenne en 2013 oblige tous les Etats soumis à des plans d’austérité à réaliser un audit de leur dette publique. Et pourtant, la Grèce est le seul Etat européen à l’avoir fait. Comme dans le cas de l’Equateur, les conclusions préliminaires de l’audit, qui ont été présentées devant le Parlement grec le 17 juin, sont accablantes.
Le rapport conclut notamment que les dettes contractées auprès du FMI, de la BCE et du Fonds européen de stabilité financière (FESF) à partir de 2010 doivent être considérées comme illégales. Pour ce qui est du FMI, la Commission a établi que celui-ci a violé ses propres statuts dans la mise en place de la dette et que celle-ci va à l’encontre de la Constitution grecque, du droit international et ne respecte pas les traités signés par Athènes. Il en va de même pour la dette due à la BCE : son mandant ne lui permet pas d’imposer des mesures législatives.
C’est pourtant exactement ce qu’elle a fait à travers sa participation à la Troïka, en forçant, par exemple, les autorités grecques à déréglementer le marché du travail. Le rapport considère donc cette dette comme illégale. Enfin, la Commission a estimé qu’étant donné que le FESF a accordé des prêts hors liquidités à la Grèce, l’article 122 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne a été violé, et que le droit européen n’a donc pas été respecté.
Pourquoi Tsipras a-t-il reculé ?
Pourquoi Alexis Tsipras n’a pas pu faire peser le travail de cette commission dans les négociations avec les dirigeants de la zone euro, qui ont abouti le 13 juillet 2015 à un accord qui prévoit de nouvelles mesures d’austérité et surtout pas un allègement de la dette ? Pour Eric Toussaint, universitaire belge, fondateur du CADTM (Comité pour l’annulation de la dette du tiers-monde) et coordinateur scientifique de la Commission pour la Vérité sur la dette publique de la Grèce (il a également travaillé avec Rafael Correa pour l’audit équatorien) :
“S’il n’a pas pas mis l’audit de la dette publique grecque sur la table, peut-être pour ne pas fâcher les créanciers avec qui il négociait, on peut clairement le regretter car il aboutira en fonction de la volonté du gouvernement. Ce qu’on peut dire, c’est que cet audit est très populaire en Grèce. A Athènes, les gens m’arrêtent régulièrement dans la rue pour me féliciter de mon travail. Malgré le blackout à propos de cet audit des médias dominants en Grèce, dont 85 % sont privés, et qui l’évoquent uniquement pour le décrédibiliser, la population est informée, notamment à travers la chaîne parlementaire grecque, et apporte massivement son soutien à cette initiative. La force du soutien populaire pour l’audit conduira peut-être le gouvernement à s’en servir face aux créanciers. »
Une arme politique de plus en plus populaire
La pratique de l’audit de la dette publique par l’Equateur et la Grèce relève de l’exception. Pourquoi est-elle si rare ?
« Les gouvernements n’ont pas le courage de réaliser l’audit de leurs dettes publiques car le faire revient à s’attaquer à la finance privée, à mettre un coup de pied dans la fourmilière. Souvent, ils n’en ont tout simplement pas envie car lorsque l’on entreprend un audit de la dette, on se rend compte que les créanciers privés sont souvent parvenus à transférer leurs dettes sur l’Etat. Or, ce sont ces mêmes gouvernements qui en sont responsables. Ils n’ont pas envie que l’on établisse leur responsabilité », explique Eric Toussaint.
C’est avant tout au sein de la société civile que l’initiative de l’audit de la dette publique se développe, au sein de mouvements sociaux de gauche, surtout depuis le début des années 2010, la crise financière ayant ravivé les problématiques de dettes souveraines. Si les audits réalisés par les autorités publiques sont très peu nombreux, les audits dits « citoyens » connaissent quant à eux une popularité croissante. Eric Toussaint se dit « optimiste » en ce qui concerne le développement de ce mode d’action, même au niveau gouvernemental ou législatif :
« En 2011, de nombreux mouvements sociaux ont réalisé un vaste audit citoyen de la dette en France. C’était du jamais vu. Les Indignés ont fait de même en Espagne la même année. Une série de mouvements citoyens a permis le développement de cette pratique. Une certaine expression de ces mouvements a accédé au pouvoir. Comme en Grèce, avec Syriza, ou encore en Espagne, avec Podemos [aux élections municipales], où le Grand Madrid a décidé de faire un audit des dettes de l’agglomération. »
On est encore loin d’une généralisation de la pratique mais en tout cas, les audits citoyens ou réalisés par les autorités publiques déjà effectués ont mis en évidence que le respect du droit n’est pas le fort des créanciers des Etats…
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