De Jacques Sapir à Emmanuel Todd et Arnaud Montebourg, les voix favorables à un protectionnisme européen se font de plus en plus entendre.
De « l’antimondialisme » des années 90 à « l’altermondialisme » des années 2000, la critique du néolibéralisme connaît une nouvelle mutation sémantique : la « démondialisation ». Concept en vogue parmi des économistes iconoclastes, la démondialisation serait la seule manière de lutter contre les dégâts du libre-échange.
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Pour le député PS Arnaud Montebourg, s’inscrivant dans l’héritage du sociologue et député philippin Walden Bello (le premier à avoir théorisé une rupture avec le credo du libre-échange), la mondialisation de ces dix dernières années a « fabriqué des chômeurs au Nord et augmenté le nombre de quasi-esclaves au Sud, détruit les ressources naturelles partout, donné le pouvoir aux financiers »… Alimentant les délocalisations, les destructions d’emplois et la diminution des salaires, la mondialisation serait pour lui « un système perdant » pour tous.
En trente ans, deux millions d’emplois industriels ont été détruits en France. L’économiste Jacques Sapir estime que les pertes directes et indirectes liées aux délocalisations représenteraient environ 4 % de la population active, soit la moitié du chômage actuel. D’où la nécessité pour Montebourg, conscient de « l’archaïsme du socialisme redistributif et de l’inefficacité du socialisme d’ajustement », d’activer une nouvelle forme de protectionnisme : un protectionnisme « créatif, moderne, dépoussiéré et flambant neuf », « vert et social », « altruiste et solidaire ».
Jacques Sapir milite pour une démondialisation « pensée et ordonnée » et rêve moins d’un « splendide isolement de la France » (ce qui serait la ligne du FN, qui laboure lui aussi les terres de la démondialisation) que d’une « rupture qui rebatte les cartes et mette nos partenaires au pied du mur ».
« Nous aurions enfin la possibilité de remettre la construction européenne sur ses rails et de lui faire emprunter la voie dont elle n’aurait jamais dû s’éloigner, celle du plein-emploi et du progrès social », écrit-il.
Le débat ne fait que s’ouvrir parmi les économistes de gauche, pas tous sur la même longueur d’ondes démondialiste. Pour Pierre Larrouturou, par exemple, c’est moins la mondialisation qui est coupable que l’incapacité de l’Europe à se donner « des règles collectives qui obligeraient les pays à converger vers un plus grand progrès social ». Selon lui, négocier un traité de l’Europe sociale s’impose en priorité avant de fermer les frontières.
Un constat partagé par le collectif des « économistes atterrés » pour lequel il faut d’urgence changer de paradigme économique, réformer la Banque centrale, trouver de nouvelles ressources fiscales, restructurer les dettes publiques, favoriser l’émission d’emprunts européens…
La voie d’une Europe sociale, écologique et solidaire, désirée par tous les économistes de gauche, emprunte encore des chemins dispersés. Avant que le protectionnisme européen ne devienne le « keynésianisme du XXIe siècle », il faut s’attendre encore à des échanges (libres) parmi les économistes.
Quoi qu’il advienne, le protectionnisme ne semble plus être un tabou absolu mais un horizon possible, derrière lequel s’affirme la volonté de neutraliser les effets néfastes du libre-échange et de négocier avec l’Allemagne les conditions d’une Europe plus juste.
Jean-Marie Durand
La Démondialisation de Jacques Sapir (Seuil), 260 pages, 19,50 euros ; Votez pour la démondialisation d’Arnaud Montebourg, préface d’Emmanuel Todd (Flammarion), 88 pages, 2 euros ; 20 ans d’aveuglement par Les économistes atterrés, (Les liens qui libèrent), 174 pages, 8,50 euros ; Pour éviter le krach ultime de Pierre Larrouturou, préface de Stéphane Hessel (Nova éditions), 254 pages, 15 euros.
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