Des mails, de la jalousie, un héros national patron des services secrets qui démissionne… Et désormais un second général, à la tête des forces de l’Otan en Afghanistan, impliqué. Retour sur une affaire d’Etat américaine qui ne fait que débuter.
« Après avoir été marié 37 ans, j’ai fait preuve d’une erreur de jugement en m’engageant dans une relation extraconjugale (« extramarital affair »). » Depuis le 9 novembre, cette phrase du général David H. Petraeus figure dans un communiqué publié sur le site de l’Agence centrale de renseignement (Central Intelligence Agency ou « CIA »).
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Le message annonce la démission du patron de la CIA, général quatre étoiles de 60 ans, ancien commandant en chef des troupes de l’Otan en Afghanistan et considéré un temps comme possible candidat républicain à la Maison blanche. Dans son court communiqué, Petraeus remercie le Président d’avoir accepté « son choix ».
Hier, on apprenait que le scandale pourrait désormais également impliquer un second général : le chef actuel des forces de l’Otan en Afghanistan. Petit rappel des faits, pour tenter de comprendre comment on est passé de quelques mails entre deux femmes à une affaire d’Etat.
1. Les mails et le début de l’histoire
L’affaire Petraeus démarre avec la plainte d’une femme de 37 ans : Jill Kelley. Amie de longue date du général, elle travaillait comme « agent de liaison social » avec une base aérienne en Floride. Jill Kelley a signalé au FBI des mails agressifs, du genre « Je sais ce que tu as fait, va-t-en, éloigne toi de mon mec » (rapporte le New York Post) en provenance d’une autre femme : Paula Broadwell.
Cette dernière, ancienne militaire de 40 ans, avait passé un an en Afghanistan à écrire la biographie du général Petraeus* alors commandant en chef des forces de l’Otan au pays des talibans et héros national de la guerre en Irak.
Jill Kelley, se disant harcelée par Broadwell, a donc demandé la protection du FBI. En fouillant, le FBI serait rapidement tombé sur des mails explicites entre Broadwell et Petraeus.
2. De biographe à « relation extraconjugale »
Jill Kelley insiste au cas ou : de son côté, sa relation avec le général était purement amicale. Il n’en demeure pas moins, selon le Washington Post, que Paula Broadwell « ressentait l’existence de cette femme comme une menace à sa relation » avec le général.
Paula Broadwell, désormais surnommée par la presse américaine « la Lewinsky du Pentagone« , ne s’est toujours pas exprimée. Elle a même déménagé en catastrophe avec toute sa famille de sa maison située en Caroline du nord. Cette mère de deux enfants mariée à un radiologue, diplômée de Harvard et de l’académie militaire de West Point, était devenue experte en lutte anti-terroriste.
Un beau jour, elle se présente au général Petraeus. Il lui donne sa carte. Deux ans plus tard, elle concentre ses recherches sur le haut gradé et multiplie interviews, voyages à bord de son avion, passe finalement un an en Afghanistan et devient son amante.
3. Timing d’une « démission conseillée »
La chronologie de l’enquête, telle qu’on la connaît à l’heure actuelle, montre que la démission du général n’a pas été spontanée, mais « conseillée » à Petraeus par son supérieur.
Le 28 octobre, David Petraeus aurait été interrogé pour la première fois par le FBI, soit une semaine après Paula Broadwell. Quelques jours passent avant que n’entre en scène le supérieur hiérarchique du patron de la CIA : James Clapper. Ce dernier, en tant que directeur du renseignement national (DNI), coordonne les différentes agences américaines de renseignement.
James Clapper aurait été informé de l’existence de l’enquête menée par le FBI le 6 novembre, jour de l’élection présidentielle américaine. Le lendemain matin, Clapper conseille à Petraeus de démissionner. Le même Clapper aurait alors informé Barack Obama, fraichement réélu la veille, de l’intention du général Petraeus de présenter sa démission.
Peter King, responsable républicain au sein de la commission de sécurité nationale à la Chambre des représentants s’étonne de son côté que « le FBI n’ait pris conscience que le jour de l’élection que le général était impliqué« .
4. Atteinte à la sécurité nationale ?
Comme Le Monde le rappelle, la démocrate Dianne Feinstein, présidente de la commission du renseignement américain a déclaré dimanche que, à ce jour, « il n’y avait eu aucune atteinte à la sécurité nationale« .
Le Daily Beast relève quant à lui que la maitresse du général semblait très informée d’une autre affaire d’Etat qui a récemment secouée les Etats-Unis. Le 11 septembre dernier, l’ambassadeur américain et trois agents diplomatiques ont trouvé la mort dans une attaque du consulat des Etats-Unis de Benghazi, en Libye. A l’examen de déclarations publiques de Paula Broadwell prononcées il y a environ un mois, le Daily Beast sous-entend que cette dernière pourrait avoir bénéficié, en exclusivité, de certaines informations via sa relation personnelle avec Petraeus.
Aujourd’hui même, des responsables du FBI et de la CIA sont auditionnés, au Congrès, pour éclaircir cette affaire extraconjugale et le calendrier de l’enquête.
5. D’autres mails et un autre général
Hier, dans son avion faisant route de Honolulu à Perth (Australie), le secrétaire à la Défense Léon Panetta a laissé fuiter d’autres éléments auprès de journalistes présents à bord. Léon Panetta a expliqué que John Allen, actuel commandant des forces de l’Otan en Afghanistan, aurait adressé des « courriels inappropriés » à Jill Kelley, la femme à l’origine de la première plainte contre Paula Broadwell.
D’après un responsable du Pentagone resté anonyme, le FBI aurait découvert entre 20 000 et 30 000 pages de correspondances (électroniques et manuscrites) entre Jill Kelley et le général américain. Une enquête a donc été ouverte contre John Allen. Une révélation qui tombe alors que le général Allen, actuellement à Washington, devait être confirmé, jeudi, par le Sénat dans ses futures nouvelles fonctions à la tête des forces de l’Otan en Europe. Léon Panetta demande d’ores et déjà le report de cette nomination.
Ironie du calendrier rappelée par l’Express, le dernier article de Paula Broadwell paru dans l’hebdomadaire Newsweek il y a quelques jours, s’intitulait « Les règles de vie du général David Petraeus ».
« Nous faisons tous des erreurs« , indique l’une de ces règles. « L’important est de les reconnaître et de les admettre, d’en tirer les leçons, d’arrêter de regarder dans le rétroviseur, de poursuivre sa route et d’éviter de les refaire. »
Geoffrey Le Guilcher
* La biographie s’intitule All in: The Education of General Petraeus, un best seller aux Etats-Unis depuis sa parution début 2012.
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