Une expo magistrale impulsée par Robert Badinter sur l’esthétique du crime et du châtiment, en écho aux problématiques contemporaines de la société sécuritaire.
Détection précoce des comportements à risque, fichage généralisé de la population, surpopulation et misère carcérales, infanticides, récidives pédophiles, couloirs de la mort… Au musée d’Orsay, une exposition initiée par l’ancien garde des Sceaux Robert Badinter et mise en scène par l’historien de l’art Jean Clair retrace avec brio ce sordide inventaire, qui a parfois valeur d’anticipation.
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On y découvre par exemple, dans une salle consacrée au crime et à la science, l’invention du criminologue Alphonse Bertillon : un système d’identification des criminels reposant sur des mesures anthropométriques – dont les fameuses empreintes digitales et le portrait face/profil encore utilisés dans tous les commissariats de France.
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Si, comme le rappelle Robert Badinter dans le texte introductif du catalogue, “il n’existe pas de criminels-nés, ni de gueule d’assassin”, les multiples études menées à la fin du XIXe siècle par des scientifiques et des médecins pour tenter de déterminer un profil criminel type font étrangement écho à la polémique suscitée en 2006 et en 2008 par des projets de détection des troubles du comportement chez les enfants de moins de 3 ans.
Dérives carcérales et peine capitale
Les dérives de l’univers carcéral – elles aussi d’actualité – ne sont pas non plus oubliées dans cette exposition qui fait référence aux multiples écrits de Victor Hugo (dont le fameux Dernier Jour d’un condamné publié en 1829, qui raconte l’attente de l’exécution) ainsi qu’aux représentations qu’en donnèrent des artistes comme Goya, Odilon Redon, Van Gogh ou Cartier-Bresson.
Quant à la peine capitale – le grand combat de Robert Badinter qui, comme on le sait, obtint son abolition en 1981 –, elle est également l’un des motifs récurrents de cette exposition qui s’ouvre sur une véritable guillotine dénichée au musée des Civilisations européennes et méditerranéennes.
La question du corps décapité ou démembré – saisie par Géricault dans son Etude de pieds et de mains –, mais surtout le glissement qui s’est opéré entre l’Ancien Régime et le XIXe siècle sur le caractère spectaculaire de la mise à mort – dans Surveiller et punir, Michel Foucault montre le passage des supplices publics à l’enfermement carcéral, à “l’enfouissement bureaucratique de la peine” – sont au coeur de cette exposition magistrale et précise.
“Le châtiment, c’est-à-dire la souffrance légalisée, ritualisée, infligée par la justice, fascine l’artiste”, écrit avec justesse Badinter. Au-delà des artistes et des écrivains, c’est toute la société qui est fascinée par le crime et ses châtiments. Il suffit de constater la médiatisation du fait divers ou la paranoïa sécuritaire que tentent d’imposer certains politiques.
Crime et châtiment, jusqu’au 27 juin au musée d’Orsay.
Illustration : Théodore Géricault, Etude de pieds et de mains
© musée Fabre de Montpellier Agglomération – cliché Frédéric Jaulmes
Photo : © musée de la Préfecture de Police de Paris
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