L’affiche et la bande-annonce de La Conquête sont trompeuses. Le film n’est pas une charge contre le Président, ni un pamphlet, ni une version fiction du Petit Journal. La Conquête met en scène un candidat prêt à tout, cynique et survolté, mais aussi un homme blessé, amoureux, éconduit. Ressort-on de la Conquête plus ou moins sarkozyste? Qui l’emporte entre le Président et le personnage? Entre Denis Sarkozy et Nicolas Podalydès?
Nicolas Sarkozy est un être humain ! Il souffre…donc on souffre avec lui. Au milieu du film, quand, pris par l’intrigue, on oublie tout ce qui s’est passé depuis 2007, quand on est plongé, avec lui, dans la tourmente de la campagne, quand Cécilia fait ses valises pour le plaquer devant toute la France pour un publicitaire bellâtre, quand Villepin, grand, beau et supérieur, se marre en écoutant à la radio le récit du largage… c’est vrai, on souffre avec Nicolas Sarkozy.
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La Conquête rend le personnage Sarkozy attachant, parfois pathétique, souvent surprenant, mais il ne rend pas forcément l’homme politique Sarkozy plus appréciable. Le personnage qu’interprète Denis Podalydès vit parallèlement la plus grande victoire qu’il se puisse remporter en politique, celle qui sur-gonfle l’orgueil et, en même temps, il subit la plus violente des blessures d’orgueil…
Se faire élire par un peuple et larguer par sa femme le même jour! Obtenir une large majorité de suffrages de la part de ses concitoyens mais pas celui de la femme qu’il aime. Cette collision des sentiments extrêmes et contradictoires fournit une force dramatique au film qui, au-delà de ses qualités ou défauts cinématographiques, emporte le spectateur.
L’insupportable homme politique fait place à l’homme blessé. Qui prendra le dessus entre le politicard opportuniste sans vergogne et le mari meurtri qui fait face? Qui peut dire si cette fiction qui a tout pour faire un carton dans les salles sera positive ou négative pour l’homme politique Sarkozy en terme d’opinion?
En réalité, la question ne se pose plus ainsi. A la théorie des deux corps du roi élaborée par l’historien américain Ernst Kantorowicz (le corps terrestre et mortel du roi et son corps politique, immortel, incarnant le royaume), il faut, dans le cas du Président, opposer les deux corps de Sarkozy: celui du Président, qui tente de survivre aux aléas de la politique, et le corps spectaculaire de celui qui aura abusé de l’image et de la communication pour exister.
Le président Sarkozy n’est pas simplement un homme politique français des XXe et XXIe siècles, c’est aussi un personnage de fiction, survolté, ridicule ou touchant. Et c’est sans doute ce personnage que l’on retiendra dans le futur plutôt que le Président qui, finalement, n’aura pas eu prise sur grand-chose malgré son hyperactivité et ses moulinets permanents.
Le personnage Sarko, lui, en revanche, se crée une vraie place dans le monde de la fiction et du divertissement de masse. La Conquête fait l’événement aujourd’hui mais il y eut des bandes dessinées à succès comme La Face kärchée de Sarkozy (plus de 200 000 exemplaires), Carla et Carlito, Sarko Ier, Le petit Nicolas à l’Élysée, Sarko et ses femmes, Sarkozix. D’autres sont en préparation pour l’automne prochain.
La BD se prête particulièrement bien au personnage Sarkozy, colérique comme Jo Dalton, gaffeur comme Gaston, agité comme le Marsupilami, impétueux et sans complexe comme Astérix, avide de pouvoir comme un Iznogoud qui aurait réussi à être calife à la place du calife…
On est loin du personnage romanesque, stendhalien, de François Mitterrand qui traversait, avec une certaine classe et un sens du tragique, une époque épique. Nicolas Sarkozy est même le héraut du dernier opus de la série des Poulpe, intitulé La Vacance du petit Nicolas (Pierre Cheruau et Renaud Dely, Ed Baleine).
Dans bien des cas, le personnage Sarkozy est associé à l’enfance et à une certaine forme d’immaturité. Sarkozy intrigue mais les caractéristiques de sa personnalité composent un personnage spectaculaire et divertissant: il peut faire et dire n’importe quoi, il peut lui arriver n’importe quoi.
Le summum de la désacralisation du Président sera atteint à la sortie, fin juin, d’une parodie de la célèbre série de livres pour enfants Où est Charlie devenue, grâce à l’humour déconneur d’Albert Algoud, Pascal Fioretto et du dessinateur Herlé, Où est Sarko aux Editions de l’Opportun. Les enfants doivent retrouver Sarko au milieu d’une foule et, généralement, on ne met pas longtemps à le repérer. C’est toujours le plus agité.
Thomas Legrand
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