L’insurrection en Guadeloupe donne une nouvelle envergure à l’oeuvre de la Compagnie Créole. Et si on faisait la révolution sur C’est bon pour le moral ?
La Compagnie Créole, groupe politique ? Vous avez des doutes…
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Vous vous souvenez d’un spectacle de primaire absolument désastreux lors duquel vous avez foiré la chorégraphie de Bons Baisers de Fort-de-France (qui ne racontait pas comme vous le supputiez alors au fond de votre ignorance crasse et enfantine l’histoire d’un fonctionnaire du ministère de l’Economie, de l’Industrie et de l’Emploi) sous le regard consterné de Judith Muller (8 ans) l’amour de votre vie – mais aussi devant une armada de caméscopes JVC ou Philips première époque tenus par la main décidée de pères brutalement transformés par les magasins Connexion plus la carte Cofinoga en D.A. Pennebaker de salle polyvalente (ça donne ça).
Vous vous souvenez aussi d’une fin de soirée interminable chez des amis ou collègues de vos parents, où à demi endormi sur le canapé convertible – pendant que les adultes finissent le Crément et le Gris de Toul – vous entendez s’égrener les dernières notes du Bal masqué, couvertes par la voix rauque du maître de maison expliquant à l’un de ses invités pourquoi le CD c’est vraiment mieux que la cassette écoute Jean-Paul le son est limpide tu reveux du Gris de Toul (ouais il est bon si t’as envie je peux t’en commander le producteur m’a à la bonne).
Pire, vous vous rappelez même avoir vomi vos tripes en loucedé lors du mariage de Luc votre ami enfance, contre un arbre éloigné des festivités, alors que résonne au loin C’est bon pour le moral et que déboule en catastrophe le frère de Luc pour rouler des pelles à une meuf qui n’est visiblement pas la sienne – mais ouais je dirai rien t’inquiète mec coupe moi juste cette musique de daube frère de Luc.
Voilà où nous en sommes tous, à peu près. Mais depuis quelques jours, depuis la révolte en Guadeloupe contre la vie chère menée par Elie Domota, leader politique du LKP, notre regard sur la Compagnie Créole s’est modifié. Oui « Les temps ils ont des changements » comme dirait Bob Dylan : et si les chansons de ce groupe que l’on jugeait jusqu’ici inoffensif et réservé à la gaudriole de basse province ou au port du collier à fleur se révélaient être les constituantes explosives de la bande originale d’une mobilisation d’envergure, d’une révolution trouvant sa source dans la « créolité » évoquée par Edouard Glissant (LOL). Et si en juin prochain, alors que Sarkozy peine à sortir des cordes (façon Mickey Rourke juste avant The Wrestler) et que la République est au bord du knock out, Olivier Besancenot, triomphant, en venait à braver les barricades pour marcher sur l’Elysée au son de Ça fait rire les oiseaux, hein ?
Bien entendu nous n’en sommes pas encore là, mais familiarisons nous par curiosité avec ce groupe qui la semaine passée, alors que les émeutes faisaient rage en Guadeloupe, a fait son entrée aux Guignols – et peut-être aussi au Panthéon des groupes engagés, quelque part entre Woody Guthrie, Lény Escudero et Public Enemy.
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La Compagnie Créole donc : un groupe formé en 1975 par Clémence Bringtown (la seule fille et donc oui chanteuse pas mal), José Sébéloué, Guy Bévert, Julien Tarquin et Arthur Apatout (qui a depuis malheureusement quitté le groupe). Une carrière internationale, des tubes dont certains produits par Daniel Bangalter, le père de Thomas Bangalter de Daft Punk : de C’est bon pour le moral (c’est bon bon) en 1982 jusqu’à Ma première biguine partie en 1987, la Compagnie truste les hit-parades. Une petite traversée du désert fin des années 80, un premier « mégamix » en 1990, puis une grosse traversée du désert, puis un nouveau « mégamix »en 2007 et une tournée mondiale (enfin en France et au Canada quoi).
Mais surtout des images, des clips bardés de faux-semblants, qui lorsqu’on les revoit aujourd’hui ne sont plus seulement ces odes au laisser vivre ensoleillé que nous avions classé sans suite par excès de confort intellectuel ; mais bel et bien de petites boules de feu insurrectionnelles. Par exemple, n’est-ce pas Gil-Scott Heron (The Revolution Will Not Be Televised) que Clémence Bringtown cite lorsqu’elle dit « Ce soir on éteint la télé » dans Bons Baisers de Fort-de-France. « Le Père Noël n’a pas de traîneaux, mais pour tout le monde y’a des cadeaux » : un appel à une vie plus simple et plus fraternelle en contexte de crise : Ségolène Royal ne dirait pas mieux. Cémence Bringtown insiste : « Le fond de l’air est déjà chaud » – une allusion à Chris Marker et à son film révolté Le Fond de l’air est rouge.
Et dans la vidéo de cette chanson, n’assistons nous pas à un début de mobilisation alors que le groupe, monté dans un camion, est suivi par une petite troupes de jeunes gens au regard décidé. Regardez plutôt.
Cet aspect grave et militant de l’œuvre de la Compagnie Créole, dites « CC », rares sont ceux qui l’avaient perçu. A part peut-être les Robins de Bois, auteurs d’un sketch plein de prescience à la fin des années 90. Un véritable document.
Autre indice, ces derniers mois, la reprise par des olibrius sur le net du Bal Masqué (Obamasqué hmmm) pour tonifier en Métropole et dans les DOM/TOM la campagne de Barack Obama à la présidence de la République. Là encore, quand le changement pointe le bout de son nez, la « CC » n’est pas très loin.
A quelques jours du vote aux USA, la « CC » prend cette fois position elle-même sur France O, en enregistrant une chanson de soutien officielle. On écoute Clémence Bringtown, qui se mue en véritable porte-parole.
La Compagnie Créole, groupe politique. Et si c’était vrai ?
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