Au bord d’une piscine, une femme au physique très Charlotte Rampling (le modèle Daria Werbowy) promène son ennui. Alanguie sur une chaise longue, elle porte une élégante robe bleu nuit aux bords frangés, pour un effet décousu. Son regard (que l’on imagine bleu piscine) est caché par de grosses lunettes noires. Peu importe : le punctum […]
Au bord d’une piscine, une femme au physique très Charlotte Rampling (le modèle Daria Werbowy) promène son ennui. Alanguie sur une chaise longue, elle porte une élégante robe bleu nuit aux bords frangés, pour un effet décousu. Son regard (que l’on imagine bleu piscine) est caché par de grosses lunettes noires. Peu importe : le punctum de l’image, shootée par Juergen Teller pour Céline, se trouve à ses pieds : en lieu et place des attendus escarpins, elle porte une paire de sandales de piscine, en plastique bleu marine.
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Elle n’est pas la seule. Tel le retour du refoulé fashion, les tatanes renaissent de leurs cendres. On les a vues faire leurs stars au défilé Prada, ou promener leur coolitude tranquille lors de la dernière présentation Jacquemus – organisée dans une piscine, tel un come-back sur le lieu du crime.
Au début des années 70, Adidas crée en effet l’Adilette (le petit nom de la tatane) pour répondre à un besoin simple et fonctionnel : ne pas se casser la gueule en sortant de l’eau. Sa semelle orthopédique la rend de plus extrêmement confortable et portable par tous – un design en phase avec l’idéal démocratique du sport pour tous, qui se développera dans le début des années 80.
Portée en dehors de son cadre d’origine, elle devient dans la décennie qui suit le parent pauvre de la tong, l’ersatz prolo de la pantoufle. Reléguée au rayon sport des supermarchés, on la croise, ambiance Bidochon, sur les plages du Sud-Est de la France, ou fatiguée de la vie dans son immeuble, aux pieds d’un voisin venu descendre les poubelles.
Un premier détournement a lieu au début des années 2000. On l’aperçoit aux pieds de jeunes cailleras dans les banlieues françaises et anglaises. A L. A., des bandes de jeunes Mexicains la portent avant d’aller taper un basket. Mais c’est Mark Zuckerberg, dans la deuxième moitié des années 2000, en en faisant un pilier de sa grammaire vestimentaire (avec le hoodie et le jean fatigué), qui lui permet de faire sa révolution sémiotique. En portant un ancien accessoire sportif tombé en désuétude, en important une pantoufle banlieusarde dans un contexte professionnel, Zuckerberg construit une illusion d’intimité. Nus, confortablement vautrés dans ses claquettes de piscine, ses pieds deviennent la preuve qu’il n’existe plus de différence entre ce que je montre et ce que je suis, entre sphère professionnelle et sphère privée, entre mon mur Facebook et mon moi intime : précisément la promesse vendue par Facebook dans nos sociétés obsédées par la transparence. Gare à la glissade.
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